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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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faire des coursiers au ghetto du camp ; ils avaient leur propre Kapo. En tout cas, lorsque ce dernier fut pris en train de passer des pièces d’or à un Ukrainien, Kuttner les envoya tous à la chambre à gaz – ils n’ont pas vécu au camp plus de trois semaines. »
    Cette affaire a été mise au compte de Stangl (de même qu’une autre concernant des enfants) par deux romanciers imaginatifs. L’un d’eux a décrit nommément Stangl « en train de jouer tout le temps avec ces enfants », il les déguisait, leur donnait des friandises, puis « lorsqu’ils ne l’amusaient plus, d’un geste de la main, et dans la plus parfaite indifférence il les faisait conduire à la chambre à gaz ». Dans un autre roman, on trouve une invention analogue : même situation, même irresponsabilité, mais ce n’est pas Stangl qui est mis en cause. Cette fois, l’engouement passager pour un groupe de petits garçons est attribué à un homosexuel du nom de Max Bielas [83]  qui, selon l’auteur, avait une baraque miniature avec des lits, des tables de nuit et des chandeliers modèle réduit de style rustique, où il gardait ces garçons pour son harem personnel jusqu’au moment où ayant assez d’eux, il les envoyait à la mort. Que des romanciers se croient obligés de se livrer à de pareilles inventions, alors que l’affreuse réalité est certainement bien plus tragique, c’est une chose assez extraordinaire.
    Le fait que Stangl ait été étranger à cette forme d’horreur particulière est confirmé par le plus sûr des témoins, Richard Glazar. « Stangl, note-t-il brièvement, n’avait pas de petits grooms. »
    Stangl a déclaré que Frau Kramer lui avait dit qu’en Allemagne le livre de Janusz Korczak (qui le fascinait manifestement) ne se vendait guère, qu’elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi et qu’elle aimerait bien savoir à quoi lui-même attribuait ça. « Je l’ai lu attentivement », dit-il en ouvrant le gros livre très joliment illustré à une page qu’il avait marquée à l’aide d’un morceau de papier arraché d’un carnet. « Je sais pourquoi on ne l’achète pas. Ecoutez donc ça… » Et il lut à haute voix ce passage du conte de fées : « Quand un soldat reçoit un ordre, il doit obéir. Il ne doit pas poser de questions, il ne doit pas hésiter et il ne doit pas réfléchir ; il doit obéir. » Il referma le livre. « Les parents ne veulent pas que leurs enfants lisent ça, évidemment. J’ai dit à cette femme que j’étais prêt à acheter moi-même ce livre, s’il me plaisait, pour l’envoyer à mon petit-fils au Brésil. Mais je ne l’achèterai pas. Je ne veux pas que mon petit-fils non plus lise ça.
    C’est exactement le genre de choses qu’ils ne doivent plus lire, plus jamais. » [Il est intéressant de souligner – bien que je me perde en conjectures quant aux raisons de tout cela – que Frau Kramer m’a assuré par la suite ne lui avoir jamais demandé à quoi il attribuait le fait que le livre se vendait mal en Allemagne. Il avait peut-être imaginé lui-même la question, dans l’intention de justifier sa propre recherche intellectuelle ; ou encore et plus vraisemblablement, il s’était mépris sur quelque chose qu’elle lui avait dit, mais elle ne voyait pas quoi.]
    Après être revenu avec moi sur plusieurs points précédemment débattus, Stangl a déclaré qu’il voulait me parler de Trieste. Visiblement, il s’était fait une fête de me relater cette période inoffensive de son histoire et, durant les deux premières journées de la semaine, il a parlé si vite que j’avais peine à le suivre par moments dans l’évocation d’innombrables détails. On aurait dit qu’il voulait comprimer la durée totale de la guerre dans le laps de temps qu’il avait passé en Italie et en Yougoslavie ; comme si, à force de bourrer de mots à une vitesse toujours plus grande cette partie de son récit, il avait espéré évacuer de la réalité tous les autres mots qu’il avait prononcés, toutes les scènes affreuses qu’il avait revécues.
    « J’y suis allé en convoi, dit-il, avec Globocnik, Wirth et cent vingt autres, dont dix de Treblinka, cinq sous-officiers et cinq Ukrainiens ; et ça a été une tout autre vie [84] . C’était dû aussi en partie au fait que j’étais parvenu à écarter enfin l’épée de Damoclès que représentaient pour moi Prohaska et Linz ; au printemps de cette année-là (1943)

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