Au Fond Des Ténèbres
je m’étais adressé à la Chancellerie du Fuhrer à Blankenburg [et non à T4 ce qui est significatif] pour solliciter le changement de mon affectation d’origine de Linz à Vienne. En septembre, très peu de temps après mon arrivée à Trieste, j’ai appris qu’on avait fait droit à ma demande et qu’à partir du 1 er septembre, j’étais rattaché au Q.G. de la police criminelle (Kripo CID) de Vienne. [On peut présumer que cette démarche n’avait pas pour objet d’échapper à Prohaska mais que c’était un coup mûrement réfléchi, et assez intelligent, pour supprimer de son dossier la trace de son appartenance à la Gestapo de Linz.]
« Ma première affectation à Trieste, durant les trois premiers mois jusqu’en décembre, fut au service sécurité des transports. Je me rendais parfaitement compte, comme la plupart d’entre nous, que notre présence mettait du sable dans les rouages : on aurait bien voulu trouver le moyen de nous “incinérer”. C’est pourquoi on nous confiait les missions les plus risquées – tout ce qui avait trait dans cette partie du monde au combat anti partisan était extrêmement dangereux. Notre troisième enfant, poursuivit-il, était né dans la première semaine de janvier, et on m’a accordé une permission pour affaire de famille. Reichleitner, qui avait eu sa permission pour la période de Noël, devait assurer mon intérim. J’ai quitté Udine en voiture avec Franz Hödl [ce nom devait resurgir – d’une façon également très significative – dans le récit de Frau Stangl] et j’ai vu brièvement Reichleitner cet après-midi-là, dans le bureau de Wirth, via Martini à Trieste. Je devais partir le lendemain matin. Mais on m’a tiré du lit au milieu de la nuit : Reichleitner venait d’être tué au cours d’une reconnaissance et ma permission était supprimée.
« J’ai rassemblé vingt-cinq hommes et toute la nuit, nous avons battu la vallée entière. Ça n’avait aucun sens : il tombait des cordes, il faisait noir comme dans un four, il aurait bien pu se trouver un partisan derrière chaque arbre sans que nous nous en avisions. En fait, nous avons appris le matin suivant qu’à 8 heures du soir cette nuit-là, les partisans avaient défilé en chantant dans un village ; tout le monde les a cachés – ils étaient tranquilles comme Baptiste. »
En février – à cette époque, il était cantonné à Fiume – Globocnik l’a convoqué, parait-il, au Q.G. de Trieste pour lui dire qu’il lui accordait une permission de deux semaines. « Je vous ai trouvé la meilleure voiture, me dit-il ; partez, allez voir votre femme, mais à une condition : vous passerez chez ma fiancée à Klagenfurt. “C’était une grande blonde, dit Stangl, qui travaillait dans un hôpital.” J’ai déjà commandé les roses et tout ce que vous aurez à lui porter », m’a dit Globocnik. « Je suis parti immédiatement. Il neigeait… »
Il semble que pour cette mission spéciale et de caractère privé, Globocnik n’a pas seulement fourni à Stangl « la meilleure voiture » et des roses.
« Paul est venu en permission fin février-début mars, dit Frau Stangl. Il faisait très froid. Mon bébé était né en janvier et j’avais eu un accouchement très difficile. J’étais au lit. Il est arrivé avec un camion plein de choses – de la part du général a-t-il dit : des choses qui n’avaient pas de prix : des draps, des couvre-lits en duvet, du linge [85] . C’était Noël au mois de mars. Paul est resté à peu près une semaine, je crois. Je ne sais pas du tout en quoi consistait son travail en Italie, quoiqu’il m’ait dit qu’on lui avait ordonné de rechercher les Juifs là-bas aussi. Mais il a dit qu’il ne le ferait pas. “Pour qui me prend-on ? Pour un chasseur de têtes ? On peut bien me laisser en dehors de tout ça maintenant.” [Et Suchomel, qui était également à Trieste à l’époque, rapporte que Stangl employa avec lui les mêmes mots.]
« Non, dit Frau Stangl, je crois qu’il n’a plus eu affaire avec ces histoires de Juifs. Après cette permission, il n’est pas revenu de toute une année – il a été quelque temps très malade à Trieste – on l’a envoyé à l’hôpital. Il avait des taches bleues sur tout le corps – ils n’ont jamais compris pourquoi. » [Plus tard on devait découvrir, quelle qu’ait pu être cette maladie, qu’il avait eu aussi à ce moment, sa première
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