Au Fond Des Ténèbres
qu’ils avaient été interpellés par un policier en Styrie. Ils lui ont montré leur carte d’identité et lui ont demandé des renseignements sur le village le plus proche et il les a laissés aller. Mon mari était bon montagnard et connaissait le Tyrol depuis sa jeunesse. Il m’a dit, je crois, qu’il a trouvé la route pour l’Italie en passant derrière le Brenner – à moins que ce ne soit Bolzano – je ne suis pas très sûre. Mais je me rappelle bien qu’il m’a dit avoir traversé la frontière de nuit, et ça n’a pas été facile pour les autres, mais il est arrivé à les faire passer. Personnellement, je ne sais pas jusqu’où ils sont allés à pied, mais je sais qu’ils ont pris le train de Florence à Rome. J’avais donné à Paul l’adresse d’un cousin que j’avais à Merano – mais j’ignorais alors qu’il avait émigré depuis longtemps en Amérique du Nord. J’ai naturellement les lettres de mon cousin pour le prouver… »
Stangl lui-même m’avait touché un mot de cet épisode, sans toutefois mentionner ses compagnons (il avait fait allusion à Wagner, mais dans un autre contexte).
« Je me suis enfui de la prison de Linz, le 30 mai 1948, dit-il. Primitivement, nous avions pensé demander à l’ancien employeur de ma femme, le duc de Corsini de nous aider. Mais on m’a parlé à ce moment d’un certain évêque Hulda, au Vatican, qui venait en aide aux officiers SS catholiques et c’est lui que nous sommes allés trouver. »
Stangl faisait erreur sur le nom. Il voulait parler de M gr Aloïs Hudal, recteur de Santa Maria del Anima et confesseur de la communauté catholique allemande de Rome (il est mort en 1963).
Y avait-il des protestants pour aider les officiers SS , ai-je demandé.
« Oh ! oui. Il y avait quelqu’un, également à Rome, Probst Heinemann. » Autre erreur. Il y avait un certain curateur Heinemann à l’Anima, avec M gr Hudal, mais le pasteur protestant qui aidait les évadés était le pasteur Dahlgrün (de même que les catholiques, les protestants venaient légitimement en aide aux réfugiés de toute confession).
Vous aviez de l’argent ?
« Très peu. Seulement les économies de ma femme. Elle avait un cousin à Merano que j’ai essayé de trouver, mais il n’habitait plus là. À Merano, j’ai été pris par les carabinieri, tout simplement, je crois, parce que je me trouvais dans la rue, vous savez, et parce que j’avais l’air étranger je suppose. En tout cas, je m’en suis tiré avec des explications, je leur ai parlé de ma famille et ils m’ont laissé aller… »
Frau Stangl s’est étendue sur l’incident – et je tiens à répéter que, lorsque j’ai vu Stangl, il n’imaginait pas que j’irais trouver sa femme au Brésil, et qu’aucun des deux ne savait d’avance les questions que je poserais. Elle a de nouveau mentionné les compagnons de son mari, alors qu’il ne l’avait pas fait, mais la discordance témoigne plutôt en leur faveur : elle souligne que leur récit n’avait pas été « combiné ».
« Ils sont d’abord allés à Merano, dit-elle, Paul a cherché mon cousin pendant que les autres l’attendaient dans les bois. Ne pouvant le trouver, il est entré dans une église – sans doute pour se reposer car il n’a jamais beaucoup fréquenté les églises. Toujours est-il que lorsqu’il en est ressorti les carabiniers l’ont interpellé, je ne sais pas trop pourquoi, simplement sans doute parce qu’il avait l’air allemand et qu’il était entendu qu’ils devaient arrêter les Allemands. Ils ont voulu le faire monter dans une voiture pour l’emmener je ne sais où : mais il leur a montré une photo de moi en leur disant à quel point j’étais pauvre et comme j’avais besoin qu’il gagne de l’argent pour que nous puissions passer l’hiver – il a toujours été capable d’extorquer sa chemise à un autre par la persuasion – et, pour finir, ils l’ont laissé partir. Ensuite, ils sont allés tous les trois à Florence, mais le duc et sa famille étaient dans une de leurs propriétés, alors ils ont continué sur Rome.
7
L’odyssée de divers Allemands « recherchés » figure dans de nombreux livres sous une forme dramatiquement détaillée. Il a pu se produire certes quelques évasions romanesques de nazis de très haut rang, mais, dès lors que des hommes de cette sorte pouvaient disposer de sommes considérables, de fausses pièces d’identité
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