Au Fond Des Ténèbres
organisations nazies d’après-guerre. Ici encore, quand le cas s’est produit c’était dû sans doute à l’initiative de quelques individus. À considérer sans passion les choses dans leur ensemble, en ce qui concerne l’Amérique latine, il apparaît que la plupart des évadés ordinaires, « le tout-venant », ont dû ne compter que sur eux-mêmes, tandis que dans leur majorité les plus haut placés de ceux qui s’étaient réfugiés dans les États les plus réactionnaires d’Amérique latine ou du Proche-Orient ont été finalement employés non par des sociétés commerciales mais par des gouvernements avides de s’assurer ce supplément inopiné de « talents ».
Volkswagen est une des firmes le plus souvent citées à ce propos. Le récit de Frau Stangl – bien plus prosaïque que dramatique – sur la façon dont son mari y est entré, me paraît offrir une image plausible de ce qui a pu se produire dans la majorité des cas.
Je n’ai ni désir particulier ni raison de disculper Volkswagen (il se trouve que cette société s’est montrée particulièrement peu obligeante devant mes tentatives pour élucider la question au Brésil), mais je tiens à ne pas confondre commérages et réalité des faits. Et il existe deux raisons qui font que le récit de Frau Stangl apparaît plus cohérent que le genre d’histoires si souvent rebattues.
La première raison est qu’il s’est passé huit ans avant que Stangl obtienne cet emploi chez Volkswagen S.A. ; huit ans d’une existence de travailleur plus que modeste dans un logement de travailleur (soit dit en passant, il en fut de même pour Eichmann en Argentine). S’il avait été en mesure d’exploiter son passé de nazi pour obtenir un emploi bien payé dans une firme allemande comme Volkswagen, pourquoi ne l’aurait-il pas fait plus tôt ? Deuxièmement, lorsque, en octobre 1959, il obtient cet emploi, il était déjà clair comme de l’eau de roche que l’atmosphère était en train de changer. La vieille garde de toutes ces sociétés approchait de l’âge de la retraite et les jeunes cadres qui arrivaient d’Allemagne, souvent diplômés d’écoles de gestion américaines, ne devaient guère incliner à approuver des contrats d’embauche fondés sur des fidélités politiques périmées et devenues impopulaires.
« Mon travail chez Mercedes-Benz, dit Frau Stangl, m’avait permis de rencontrer nombre de gens de l’industrie automobile. Quand Paul a dû retrouver du travail, comme il n’y avait rien en vue chez Mercedes, je me suis adressée à un de nos voisins qui dirigeait les services techniques de gestion chez Volkswagen il s’appelait Jablonski. C’est lui qui a trouvé un emploi pour Paul. Il a commencé comme ingénieur mécanicien, mais il a très vite obtenu de l’avancement et, pour finir, il a été chargé de l’entretien du matériel au salaire de 25 000 cruzeiros par an [salaire élevé pour le Brésil de l’époque].
« Notre situation s’était considérablement améliorée et je me prenais à penser qu’il serait bien agréable de changer de quartier et d’avoir une plus grande maison. En réalité, j’avais envie d’habiter “Brooklin” – un des plus beaux quartiers résidentiels de São Paulo ; un tas d’Allemands sympathiques, de diplomates, de sympathiques Brésiliens, y habitaient.
« Je pensais que ce serait excellent pour les filles. Paul, bien entendu, n’a jamais eu ce genre de… je ne sais comment dire… d’initiative peut-être, ou de toupet, si vous voulez, ou peut-être de confiance, pour courir des risques, faire des projets, provoquer un changement dans notre vie – d’une façon active, vous comprenez, pas passivement. Je lui avais demandé ce qu’il penserait d’aller s’installer à Brooklin. Mais tout ce qu’il a pu répondre a été : « Nous ne pouvons pas nous permettre ça. « Alors j’ai décidé de foncer quand même. J’en ai parlé chez Mercedes-Benz. Ils étaient extraordinairement gentils, vous savez, très paternalistes envers leur personnel. En tout cas, ils m’ont aidée à acheter une parcelle ; il y en avait pour 400 cruzeiros [il semble que le prix du terrain était très bas]. J’en avais économisé 200 et Mercedes m’a prêté les 200 autres et ils m’ont “prêté” un de leurs architectes pour dessiner les plans de la maison. »
[Plus tard, ayant vu cette maison, je devais écrire à Frau Stangl que, même dans ces
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