Au Fond Des Ténèbres
Wirth. »
C’est à ce moment qu’apparaît la seconde bête noire [12] de Stangl, le célèbre Christian Wirth, « Christian le féroce » comme on le surnommait. C’est lui qui utilisa le premier les gaz contre les Allemands certifiés incurables, en décembre 1939 ou janvier 1940 à Brandenburg-sur-Havel. D’après l’ouvrage de Reitlinger, The Final Solution [13] , « le nom de Wirth n’est mentionné dans aucune des correspondances d’archives qui ont échappé à la destruction, concernant l’euthanasie ». Il semblerait aujourd’hui, selon le récit de Stangl, confirmé par un de ses anciens subordonnés, Franz Suchomel, qu’au milieu de l’année 1940, Wirth fut désigné comme une sorte de directeur itinérant ou d’inspecteur pour la douzaine d’institutions de ce genre du Grand Reich. Suchomel dit qu’il vint à Hartheim comme Laüterungs Kommissar [14] parce que « c’était devenu une porcherie sans nom ». Moins d’un an plus tard, il était chargé d’entreprendre l’extermination des Juifs à Chelmno, le premier des cinq camps de la mort nazis en Pologne ; plus tard encore il fut nommé « inspecteur général » des trois principaux camps d’extermination, Belsec, Sobibor et Treblinka. Cette succession d’affectations confirme à nouveau le rôle préparatoire dévolu au Programme d’euthanasie dans la « solution finale ». (En pratique, sinon en apparence, ce fut – comme on a pu le prétendre aussi – un entraînement en règle.)
« Wirth était vulgaire et gueulard, dit Stangl. J’ai eu un coup au cœur en le voyant. Il était alors pour plusieurs jours à Hartheim et il y est souvent revenu. À chacun de ses passages, il s’adressait à nous au déjeuner. Et chaque fois, c’était le même langage grossier ; quand il parlait de la nécessité de l’euthanasie, ce n’était pas en termes humains ou scientifiques, comme le Dr. Werner, à T4, l’avait décrit. Non, il riait. Il parlait « d’en finir avec les bouches inutiles », et il disait que les “pleurnicheries” sur ce sujet lui donnaient envie de “dégueuler”. »
Et les autres, comment étaient-ils ?
Il y avait deux médecins : le D r Renno [15] et le D r Lohnauer [16] et quatorze infirmiers, sept hommes et sept femmes. Le Dr. Lohnauer était un homme assez distant mais très correct. Le Dr. Renno était gentil et amical. »
Pendant toutes ces semaines et ces mois, vous ont-ils parlé de ce qui se pratiquait là ?
« Souvent, très souvent. Le Dr. Renno surtout. Vous savez… » et il poursuivit soudain avec tristesse « Vous n’imaginez pas ce qu’étaient les malades qu’on nous amenait. Je ne savais pas moi-même qu’il pouvait exister des êtres pareils. Les enfants, mon Dieu !… » (Dieter Allers devait me dire plus tard qu’il ne comprenait rien à cette allusion.)
« Il n’y a pas eu d’enfants mis à mort à Hartheim, dit-il, il y avait des endroits spéciaux pour eux » ; et les autorités judiciaires centrales de Ludwigsburg pour les crimes nazis ont confirmé que si des enfants avaient péri à Hartheim, ce ne pouvait être que des cas isolés [17] .
Mais il ne vous est jamais arrivé de penser : Et s’il s’agissait de MA mère ? de MON enfant ?
« Ah ! mais, répliqua-t-il immédiatement, on nous avait tout de suite prévenus qu’il y avait quatre groupes exemptés : les vieillards séniles ; tous ceux qui avaient servi dans l’armée ; celles qui avaient été décorées de la Mutterkreuz (Croix des mères, décoration instituée pour glorifier la maternité) et les parents du personnel du Programme d’euthanasie. Évidemment ils ne pouvaient pas faire moins. »
Mais indépendamment de cela, vous n’avez pas eu de scrupules ?
« Si, longtemps. Deux ou trois jours après mon arrivée, j’ai dit à Reichleitner que je n’étais pas sûr de pouvoir m’y faire. Je venais d’apprendre que mon prédécesseur avait été relevé sur sa demande parce qu’il avait des maux d’estomac. Je ne pouvais pas manger non plus, vous savez. On ne pouvait vraiment pas. »
Il était donc possible de demander à être relevé ?
« Oui, mais Franz Reichleitner m’a dit : “Et que crois-tu qu’il arrivera si tu en fais autant ? Souviens-toi de Ludwig Werner.” Il savait naturellement que mon ami Werner était dans un camp [18] . Non, je ne doutais guère de mon sort si je retournais à Linz chez Prohaska. »
Vous dites que
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