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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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d’enfants au total) furent liquidés dans ces quatre camps durant cette période.
    Les camps de concentration aussi possédaient des camions à gaz, des chambres à gaz, des fours crématoires et des fosses collectives. Là aussi, des gens y furent fusillés, gazés, subirent des piqûres mortelles et, outre ceux qui y ont été assassinés, des centaines de milliers sont morts d’épuisement, de faim et de maladie. Mais – même à Birkenau, section d’extermination d’Auschwitz – où l’on estime que 860 000 Juifs trouvèrent la mort [43]  – il y avait toujours une chance de survie.
    Dans les camps d’extermination, les seuls qui ont conservé cette chance, jour après jour, furent les quelques hommes et femmes – en nombre infime – gardés comme « travailleurs juifs » pour faire fonctionner les camps. Pour les quatre camps de la mort en Pologne, quatre-vingt-deux personnes – pas un enfant parmi eux – survécurent.
    Mais l’assassinat des Juifs par les nazis ne se distingue pas seulement des autres cas de génocide par l’esprit qui y présidait. Les méthodes employées elles aussi, furent uniques et calculées d’une manière unique. Les meurtres étaient systématiquement organisés pour imposer le maximum d’humiliation et de déshumanisation aux victimes avant leur mort. Une intention précise et minutieuse présidait au système, ce n’était pas « pure » cruauté ni indifférence ; les wagons de marchandises surpeuplés, sans air, sans aménagements sanitaires, sans nourriture, sans boisson, pires que les pires transports de bestiaux ; la panique provoquée de l’arrivée ; l’immédiate et brutale séparation des hommes, des femmes et des enfants ; le dénudement public ; les fouilles physiques internes d’une incroyable grossièreté à la recherche de valeurs cachées ; le rasage des poils et des cheveux pour les femmes ; et finalement la course de tous ces corps nus, sous les fouets cinglants, vers la chambre à gaz.
    À quoi avez-vous attribué, à ce moment-là, l’extermination des Juifs ? ai-je demandé à Stangl.
    « Ils voulaient leur argent, répliqua-t-il immédiatement. Avez-vous une idée des sommes fantastiques que ça représentait ? C’est avec ça que l’on achetait de l’acier en Suède. »
    Il l’a peut-être réellement cru, mais j’en doute. Le décompte final de Globocnik a révélé que l’Aktion Reinhardt (ainsi nommée d’après le prénom de Heydrich) a rapporté au III e  Reich 178 745 960 DM. Pour un homme, en comparaison de son salaire mensuel, cela peut représenter une belle somme. Mais qu’est-ce là au regard du budget d’une nation, en guerre ou même en paix ? Une somme insignifiante.
    Mais, demandai-je à Stangl, puisqu’on allait les tuer de toute façon, à quoi bon toutes les humiliations, pourquoi la cruauté ?
    « Pour conditionner ceux qui devaient exécuter ces ordres.
    Pour qu’il leur devienne possible de faire ce qu’ils ont fait. » Et cela, je pense, était la vérité.
    Pour mener à bien l’extermination de ces millions d’hommes, de femmes et d’enfants, les nazis ont perpétré un meurtre non seulement physique, mais moral : sur ceux qu’ils tuaient, sur ceux qui tuaient, sur ceux qui savaient qu’on tuait et aussi, dans une certaine mesure, pour toujours, sur nous tous, qui étions vivants et conscients à ce moment-là.

2
    Nous avons abordé la période polonaise de l’histoire de Franz Stangl, le matin du quatrième jour. Tout ce qu’il m’avait dit jusqu’alors aboutissait à ce moment. Le récit de son enfance et de sa jeunesse avait été fréquemment interrompu par une émotion profonde et des larmes, aussi la perspective d’aborder l’exposé de son travail dans les camps de la mort nazis allait-elle être j’en étais sûre, encore plus pénible à sa conscience. Moi aussi j’appréhendais les heures à venir.
    Je l’attendais devant la porte et je l’ai observé tandis qu’il avançait dans le long corridor. Il souriait de loin et au fur et à mesure qu’il s’approchait, ce que j’ai perçu ce fut un subtil – et cependant pas si subtil – changement d’attitude : ce qui jusque-là avait été un mélange d’élan et de flottement dans son salut matinal, était maintenant une sorte de calme affecté quand il me salua, il se courba en deux avec une bonhomie [44]  appuyée.
    Dès qu’il fut assis à la table, sans qu’il soit besoin de

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