Au Fond Des Ténèbres
pourrait arriver si les Juifs nous tenaient, nous, un jour ?” Alors je lui ai dit de s’en aller. Je ne savais plus où j’en étais. J’étais au bord des larmes. J’ai rentré les enfants dans la maison : je me suis assise, le regard fixe, plongeant dans un abîme sans fond. C’est ça que j’avais sous les yeux ! mon mari, mon homme, mon brave homme, comment pouvait-il être mêlé à ça ? Était-il possible qu’il assiste réellement à ces choses ? Je savais pour Wirth – Paul m’avait parlé de lui dès mon arrivée, à la gare même. Mais ce n’était pas à lui que je pensais maintenant… Mes pensées tourbillonnaient ; ce que je désirais par-dessus tout, c’était d’être en face de lui, de lui parler, de voir ce qu’il avait à dire, comment il pouvait s’expliquer… »
Elle a laissé les enfants jouer dans la chambre et elle est partie dans la forêt sur le sentier qu’il empruntait pour rentrer à la maison. « J’ai marché longtemps et je me suis assise sur un tronc d’arbre pour l’attendre. Il m’a vue de loin et son visage s’est éclairé. Je pouvais le voir. C’était toujours ainsi – son visage reflétait toujours sa joie dès qu’il me voyait. Il a sauté de cheval et s’est avancé vers moi – pour m’enlacer je suppose. Mais il a vu tout de suite mon air égaré. « Qu’est-ce qu’il y a ? a-t-il demandé. Les enfants ? »
« J’ai dit : “Je sais ce que tu fais à Sobibor. Dieu ! Comment est-ce possible ? Qu’est-ce que tu fais, toi, là-dedans ? Quel est ton rôle dans tout cela ?” Il m’a demandé d’abord comment j’avais su, mais je pleurais, je ne faisais que pleurer. Il m’a dit alors : “Ecoute, ma petite enfant, s’il te plaît, calme-toi, je t’en supplie. Il faut que tu me croies. Je n’ai rien à faire dans tout cela.” J’ai dit : “Comment peux-tu être là et n’avoir rien à faire avec ça ?” Et il a répondu : “Mon travail est purement administratif et je suis là pour construire, pour superviser les constructions, c’est tout. – Tu veux dire que tu n’assistes à rien ? – Oh ! si, je suis présent, mais je ne fais rien à personne.”
« Bien entendu, je ne savais pas qu’il était Kommandant ; je ne l’ai jamais su. Il m’a dit qu’il avait le plus haut grade [Höchste Charge]. Je lui ai demandé ce que cela voulait dire et à nouveau il a répété qu’il s’occupait des constructions et qu’il aimait ce travail. J’ai pensé “Mon Dieu”. Nous sommes revenus à pied, moi pleurant et discutant et le suppliant encore et encore de me dire comment il pouvait être dans un tel endroit, comment il avait pu en arriver là. Je ne comprenais plus rien. Je ne savais même plus ce que je disais. Tout ce qu’il faisait, lui, sans arrêt, c’était de me rassurer – ou d’essayer. Cette nuit-là je n’ai pas pu supporter qu’il me touche – c’était comme ce jour de 1938 où je m’étais tenue éloignée de lui des semaines, des semaines, des semaines jusqu’à ce que, finalement, j’aie de la peine pour lui. Mais cette nuit-là, à Sobibor Salovoce, il avait l’air de comprendre. Il s’est borné à me caresser doucement pour essayer de me calmer. Même ainsi, il a fallu des jours avant que je… le laisse à nouveau. Et cela juste avant qu’il soit appelé à Lublin pour voir Globocnik. J’ai fini par me laisser convaincre que son rôle dans le camp était purement administratif – bien sûr je voulais être convaincue, n’est-ce pas ? Mais en tout cas je ne peux pas très bien me souvenir de la suite des événements, mais je sais que je ne me serais pas séparée de lui fâchée.
« Ce jour-là, Paul et moi nous canotions sur le lac, avec les enfants, quand Michel est arrivé sur la rive. C’est la seule fois où je l’ai vu. Non, lui n’a jamais rien fait pour nous après le départ de Paul. Je ne sais pas ce que Paul a voulu dire quand il vous a raconté que c’était Michel qui nous a sorties de là.
« Michel nous a crié de loin que Paul venait de recevoir l’ordre d’aller voir Globocnik. Nous avons ramé pour regagner la rive et Michel a dit : “Ils ont dit : maintenant, tout de suite ; il faut que tu viennes immédiatement.”
« Nous sommes rentrés à la maison et je me souviens que je l’ai aidé à se changer et il est parti.
« Après son départ, ce jour-là, j’ai été terriblement abattue : vous voyez, bien que je
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