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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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troisième phase – après le début de 1943 – est une phase de relative stabilité : il y avait moins de convois. Les SS avaient alors compris qu’ils devaient se montrer indispensables au bon fonctionnement des camps s’ils voulaient garder leur poste relativement tranquille, loin du théâtre de la guerre et pour ce faire, ils commencèrent à apprécier les travailleurs utiles. Et à ce moment-là également les prisonniers étaient devenus pour eux quelque chose comme des individus.
    « Ils avaient, pour ainsi dire, la “tenure” de leurs emplois ; il y avait une sorte de communauté de but terrible entre les meurtriers et les victimes : rester vivants.
    « La quatrième et dernière phase s’étendit sur les deux, trois mois avant la révolte d’août 1943 – période d’insécurité croissante pour les Allemands, alors que les Russes approchaient. Les SS commençaient à réaliser ce qui pourrait arriver si la guerre était perdue pour eux et si le monde extérieur apprenait ce qui avait été fait à Treblinka ; ils sentaient qu’en fait ils étaient des individus, susceptibles d’avoir à rendre des comptes individuellement. Et qu’en conséquence ils auraient avantage à pouvoir produire des prisonniers [pour parler en leur faveur].
    « Quoi qu’il en soit, tout ça ce sont des généralisations ; si, le matin de notre arrivée, il a fallu quinze ou trente minutes avant que quelqu’un ose nous chuchoter ce qu’était Treblinka, c’est qu’on en était à la seconde phase de l’existence du camp et que la peur dictait chaque mouvement. » Richard Glazar, je l’avais compris à ce moment-là, a une extraordinaire capacité de se souvenir, de prendre une distance relative – chose indispensable pour rendre cette histoire supportable – et dans le sens plus général d’en tirer la leçon.
    « Comment décrire maintenant ses propres réactions ? dit-il. Ce que je me rappelle le mieux de cette première nuit, c’est d’avoir décidé de ne pas bouger ; de… comment dire… rester debout, m’asseoir, me coucher très, très tranquillement. Est-ce qu’inconsciemment je réalisais que la chose essentielle était de ne pas se faire remarquer ? Est-ce qu’instinctivement je reliais les notions d’ “être remarqué” et de “mouvement” ? Je ne sais pas. Je me suis dit : “Nage avec le courant… laisse-toi porter… si tu te remues trop, tu coules.”
    « Cette nuit-là, je n’avais pas faim. Je veux dire qu’il y avait de la nourriture – il y en avait toujours après l’arrivée des “riches” convois (ceux de l’Ouest) – mais je n’ai pas pu manger. J’avais horriblement soif, une soif qui a continué toute la soirée, toute la nuit…
    « Je me souviens des autres qui nous observaient le soir dans la baraque, nous les nouveaux. “Comment vas-tu te comporter se demandaient-ils. Vas-tu hurler, vociférer, sangloter ? Deviendras-tu fou, hystérique, mélancolique ?” Toutes ces choses sont arrivées ; et dès la nuit suivante, devenu moi-même un “ancien”, j’ai observé les nouveaux de la même manière. Ce n’était pas de la curiosité – ni de la compassion. Nous étions déjà au-delà de sentiments aussi simples. Nous le faisions pour répondre à un besoin intérieur ; nous avions besoin de nous prouver à nous-mêmes, encore et encore, que l’autre était semblable à nous avec les mêmes peurs, les mêmes tentations d’agresser – peut-être pas tout à fait les mêmes capacités. L’une et l’autre de ces choses rassuraient en quelque sorte, et interroger les nouveaux arrivants allait devenir une sorte de rite, chaque nuit… »
    Richard m’a beaucoup parlé de ces rapports humains et combien ils avaient été importants pour survivre. « Mon ami Karel est arrivé le lendemain. Toute sa famille fut tuée immédiatement, mais il avait vingt et un ans et était fort comme moi, aussi s’est-il trouvé parmi les heureux sélectionnés pour le travail. À partir de ce moment-là nous ne nous sommes plus quittés jusqu’en 1945 quand nous sommes rentrés à Prague ensemble. On nous appelait les jumeaux. » (Karel Unger vit maintenant dans l’État de Washington et il a refusé de venir en Allemagne témoigner au procès de Treblinka et plus tard à ceux de Stangl.) « Il ne comprend pas comment j’ai pu envoyer mon fils étudier en Allemagne, dit Richard avec tristesse. Nos façons de sentir sont peut-être

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