Au Pays Des Bayous
facile, les émigrants européens venus librement participer à la mise en valeur de la colonie trouvèrent en Louisiane une population servile composée des Noirs importés d'Afrique contre leur gré par les négriers et, en petit nombre, des Indiens prisonniers de guerre, contraints, avec plus ou moins de violence, de servir les Blancs.
Jusqu'en 1712, le roi de France avait refusé, « avec constance et fermeté », l'introduction de Noirs en Louisiane. Mais, quand Antoine Crozat prit à bail la colonie, il obtint que figurât parmi les privilèges de celle-ci, non seulement le droit de faire venir chaque année un bateau de Noirs sur les rives du Mississippi, mais aussi le monopole de la traite, c'est-à-dire de l'enlèvement, pour le compte des Espagnols, des Noirs destinés à l'esclavage dans les colonies de ces derniers. John Law reprit naturellement à son compte tous les avantages accordés à Crozat, plus quelques autres.
Depuis l'Antiquité, la capture d'esclaves était considérée comme source de main-d'œuvre, mais, d'après certains historiens, la première expédition de type commercial ravalant les Noirs au rang de marchandise fut le fait des Portugais. Le 8 août 1444, un navire de Lagos aurait débarqué au Portugal deux cent trente-cinq Noirs, aussitôt vendus à de bons bourgeois. Les Espagnols, les Anglais puis toutes les nations coloniales se mirent de la partie et, en 1620, un bâtiment de guerre hollandais débarqua à Jamestown (Virginie) vingt Noirs enlevés en Guinée. Ce furent les premiers esclaves transportés en Amérique du Nord. Des dizaines de milliers devaient les rejoindre jusqu'à ce que la traite soit assimilée à la piraterie par le congrès de Vienne en 1815.
En important, dès 1713, une vingtaine de Noirs qui furent vendus aux colons louisianais, les dirigeants de la Compagnie des Indes occidentales n'avaient fait que reprendre la méthode qui avait si bien réussi dans une autre colonie, devenue en partie française depuis 1626, Saint-Domingue. Sur cette île, nommée Hispaniola par Christophe Colomb et que les Espagnols avaient commencé à peupler d'esclaves noirs dès 1502, le gouverneur français, Bertrand Ogeron de La Bouère, affichait une belle réussite économique depuis qu'il avait organisé l'importation d'une main-d'œuvre servile raflée sur les côtes d'Afrique.
Le gentilhomme angevin avait déjà su mettre au travail des flibustiers et des matelots rebelles à toute discipline. En offrant à ces colons de fortune des esclaves aptes à faire produire la terre, il avait considérablement développé les cultures vivrières, celles du coton, du manioc, de l'igname et de l'indigo notamment. Dans les milieux qui s'intéressaient à la colonisation comme dans les salons où l'on parlait affaires, il était cité en exemple. Ce qui était bon pour Saint-Domingue ne pouvait manquer de l'être pour la Louisiane, dont le climat ressemblait fort à celui de la grande île des Antilles et où l'on pouvait cultiver les mêmes plantes.
En 1719, deux navires, le Grand-Duc-du-Maine et l' Aurore , venant d'Afrique, débarquèrent sur l'île Dauphine environ cinq cents esclaves enlevés en Guinée. La même année, la Compagnie des Indes fit construire, sur la rive droite du Mississippi, en face du site de La Nouvelle-Orléans, un pénitencier pour Noirs aussitôt nommé « plantation de la Compagnie ». Désormais, les négriers allaient fournir régulièrement la main-d'œuvre servile que réclamaient les colons. Fatigués par le climat, ceux-ci estimaient que seuls les Africains étaient assez résistants pour travailler la terre. Ces Noirs, que l'administration maritime appelait « pièces d'Inde » et les trafiquants « bois d'ébène », allaient devenir les principaux artisans de la fortune des planteurs.
L'odieux commerce devint assez vite d'une bonne rentabilité pour la Compagnie et Bienville révélera en 1731 : « Les nègres qu'elle a introduits dans la colonie lui revenaient à trois cents livres et elle les a vendus, à crédit, mille livres. » Mais la Compagnie n'était-elle pas en Louisiane pour faire des affaires ? Elle prenait du bénéfice non seulement sur la revente des Noirs capturés en Afrique, mais aussi sur les denrées de première nécessité qu'elle importait de France et vendait aux colons, en majorant les prix de cent vingt à cent cinquante pour cent !
En 1726, on comptera en Louisiane, entre le Détour-aux-Anglais et
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