Au Pays Des Bayous
contenter leur intempérance soit considérablement diminué, il en reste encore assez pour scandaliser l'Église et avoir besoin d'un remède efficace. » Le père Raphaël, capucin luxembourgeois, fondateur de la première école de garçons de la ville et signataire de cette protestation, était, avec le père Gaspard et le père Hyacinthe, chargé de veiller sur les âmes des habitants de La Nouvelle-Orléans. Une vingtaine d'autres missionnaires, capucins, jésuites ou prêtres des Missions étrangères, exerçaient leur ministère à Mobile, à la Balise, chez les Appalache, les Natchez, les Kaskaskia, les Taensa, les Illinois et dans les forts établis aux points stratégiques de la colonie.
Si les prêtres de toute obédience travaillaient, souvent dans un climat de mésentente et de rivalité, avec plus ou moins d'ardeur et de succès, au salut des âmes blanches, noires et indiennes, ce furent les religieuses qui prirent en charge les misères physiques et morales d'une communauté multiraciale, cosmopolite et, par certains aspects, interlope ! Le 18 septembre 1726, un accord avait été passé à Paris entre la Compagnie des Indes et sœur Catherine de Bruserby de Saint-Amand, première supérieure des ursulines de France 10 . Aux termes de l'accord, un groupe de religieuses de cet ordre devait s'installer à La Nouvelle-Orléans et assurer le fonctionnement d'un hospice pour les pauvres et les malades et d'un établissement d'éducation pour les jeunes filles. En prenant leurs fonctions, La Chaise et le gouverneur Périer n'avaient pas manqué de rappeler cet engagement et, le 12 janvier 1727, six religieuses professes, une novice et deux séculières avaient été réunies au couvent d'Hennebont, haut lieu de l'ordre, puisque fondé en 1643 sur les ruines du monastère de Kerguelen construit en 1070. En présence du révérend père Nicolas-Ignace de Beaubois, jésuite, ancien desservant de la mission des Illinois, vicaire général de l'évêque de Québec et supérieur général des Missions de la Louisiane, toutes reconnurent comme supérieur de la future communauté louisianaise la mère Marie Tranchepain de Saint-Augustin. Cette religieuse issue d'une famille fortunée, de son vrai nom Catherine Tranchepain, avait, en 1702, abjuré la religion réformée pour embrasser le catholicisme, malgré l'opposition de ses parents.
L'ordre des Ursulines possédait déjà une maison hospitalière au Canada et c'est pourquoi le choix de Mgr de Saint-Vallier, évêque de Nouvelle-France, entériné par le cardinal Fleury, ministre d'État, s'était porté sur cet ordre d'une excellente réputation. L'Histoire a retenu les noms des religieuses qui allaient accomplir, jusqu'à nos jours, en Louisiane, les tâches d'infirmières et d'éducatrices 11 .
Le 22 février 1727 embarquèrent à Lorient, sur la Gironde , sœur Marguerite Jude de Saint-Jean-l'Évangéliste, de Rouen ; sœur Marie-Anne Boullenger de Sainte-Angélique, de Rouen ; sœur Madeleine de Mahieu de Saint-François-Xavier, du Havre ; sœur Renée Guignel de Sainte-Marie, de Vannes ; sœur Marguerite de Talaon de Sainte-Thérèse, de Ploërmel ; sœur Cécile Cavelier de Saint-Joseph, d'Elbeuf ; sœur Marie-Anne Dain de Sainte-Marthe, d'Hennebont ; sœur Marie-Madeleine Hachard de Saint-Stanislas, novice ; sœur Claude Massy, séculière de chœur ; sœur Anne, séculière converse. Deux jésuites, le père Tartarin et le père Doutrelau, et un convers, le frère Crucy, accompagnaient les religieuses. La Compagnie des Indes avait accepté d'entretenir les religieuses, de payer leur passage et celui de leurs quatre servantes, et d'assurer le rapatriement de celles qui voudraient revenir en France. Une des ursulines avait été nommée économe de la communauté hospitalière, à charge pour elle de « s'occuper de tout le temporel et de rendre les comptes, une fois par mois, à MM. Les officiers ». La traversée, extrêmement périlleuse, dura cinq mois puisque les sœurs n'arrivèrent à la Balise que le 23 juillet 1727 et à La Nouvelle-Orléans le 7 août. Non seulement les vents contraires avaient obligé le capitaine, M. de Vaubercy, à relâcher à l'île Madère, mais les corsaires avaient, à deux reprises, poursuivi le navire ! Fort heureusement, l'armement de la Gironde avait découragé les forbans, et les religieuses, cachées dans l'entrepont pendant que les marins se préparaient au combat, en avaient été
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