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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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quittes pour la peur. Enfin, ces épreuves ne paraissant peut-être pas suffisantes, le vaisseau s'était échoué sur un haut-fond dans le golfe du Mexique. Pour alléger la coque, on avait passé les canons par-dessus bord et, comme ce délestage ne suffisait pas, les ursulines avaient dû sacrifier leurs nombreux coffres et bagages. « Nous ne fûmes pas longtemps à nous raisonner, et nous consentîmes de bon cœur à nous voir dénuées de tout pour pratiquer une plus grande pauvreté », commenta plus tard la mère Tranche-pain. Quand on eut encore jeté à la mer le baril de trois cents livres de sucre que les directeurs de la Compagnie des Indes avaient offert, entre autres cadeaux, aux religieuses, la Gironde , « enfoncée de cinq pieds dans le sable », se remit à flotter. Pendant quelques milles seulement, car le navire s'échoua à nouveau et, cette fois, sans aucune chance de se désensabler. Le capitaine, abandonnant son bateau près de couler, transborda ses précieuses passagères dans un canot qui, après quinze jours d'une navigation épique, toucha terre à l'île Sainte-Rose, proche de la côte ouest de la Floride, alors occupée par les Espagnols. Enfin Éole prit en pitié les dames que sainte Cécile semblait abandonner et, en cinq jours, poussa leur barque jusqu'à l'île Dauphine, où les autorités locales les attendaient depuis trois mois ! Le 7 août, les sœurs découvrirent enfin La Nouvelle-Orléans et entendirent leur première messe d'action de grâces sur le sol louisianais.
    Les ursulines s'installèrent d'abord dans la maison de la concession Sainte-Reyne, louée pour les religieuses par la Compagnie des Indes au concessionnaire, M. Kolly. Mitoyenne d'une propriété de Bienville, cette demeure devait abriter la communauté en attendant la construction, sur les plans de Pauger revus par l'architecte Alexandre de Batz et approuvés par l'ingénieur en chef Ignace-François Broutin, du couvent projeté depuis un an. Les sœurs durent patienter cinq ans avant d'emménager, près du Mississippi, dans un beau bâtiment de deux étages, fait de brique entre poteaux de cyprès, que les Louisianais considèrent toujours comme le premier immeuble en dur bâti sur leur sol… et peut-être sur le territoire actuel des États-Unis !
    Plusieurs des aimables nonnes venues de France en 1727 ne devaient pas connaître ce premier couvent. Entre 1728 et 1733, la maladie allait emporter les sœurs Madeleine Mahieu, Marguerite Jude, Marguerite Talaon et la mère Marie Tranchepain, incomparable animatrice de la petite communauté.
    Il fallut à la supérieure beaucoup de force de caractère, jusqu'à son dernier jour, pour résister aux pressions alternées des capucins et des jésuites. À peine les religieuses étaient-elles arrivées à La Nouvelle-Orléans que le père Beaubois et le père Raphaël avaient commencé à se quereller pour savoir qui, de la Compagnie de Jésus ou de l'ordre des Franciscains, aurait autorité canonique sur les sœurs, et surtout – la chose devait être assez plaisante pour susciter une telle compétition – qui serait habilité à entendre ces pieuses dames en confession ! La querelle avait pris une telle ampleur que les religieuses s'étaient déclarées prêtes à quitter La Nouvelle-Orléans pour aller s'établir à Saint-Domingue. Cette menace avait valu, le 12 août 1728, à la mère Tranchepain un sermon de l'abbé Raguet, chargé des affaires religieuses à la direction de la Compagnie des Indes. « Quels reproches aurez-vous à essuyer si vous vous laissez vaincre, si vous abandonnez le champ de bataille, si vous fuyez une situation mortifiante quoique vous soyez enrôlée sous un chef couronné d'épines. Souvenez-vous, Madame, que la Providence marque les lieux aussi bien que les autres circonstances qui doivent sanctifier les hommes s'ils sont fidèles. Les apôtres sont morts dans les lieux de leur destination et Jésus-Christ avait choisi Jérusalem pour y souffrir préférablement à toute autre ville. »
    À l'occasion de ce conflit, nouvel épisode de la lutte d'influence qui durait depuis plus d'un siècle entre jésuites et capucins, le gouverneur Etienne Périer, consulté par ses supérieurs sur la conduite à tenir, avait agi en Ponce Pilate. Le 15 février 1729, il avait écrit aux directeurs de la Compagnie des Indes que l'affaire commençait à agacer : « Il est tout à fait nécessaire que la Compagnie ne prenne aucun

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