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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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femmes enceintes ne paraissent pas en public. Ayant mis au monde une fille au printemps 1768, la jeune mère sera vivement critiquée pour avoir fait venir de Cuba une nourrice noire. « Les Ulloa ne veulent pas que leur fille ait le moindre contact avec le sang français », dit-on stupidement en ville.

    La rébellion française
    Les choses seraient peut-être restées en l'état dans cette colonie sous gouvernement mixte franco-espagnol, où tous les bâtiments arboraient, comme au temps de Bienville, le pavillon à fleurs de lis des rois de France, si Antonio de Ulloa n'avait décidé de réformer le régime commercial de la Louisiane. La balance du commerce extérieur a toujours été un indicateur économique apprécié des gouvernants et M. de Ulloa enrageait chaque fois qu'il devait comparer le volume des importations à celui des exportations. Non seulement le fléau de la balance penchait côté achats, mais les statistiques indiquaient que la plus grande partie des marchandises importées dans la colonie provenaient de France, et notamment le vin de Bordeaux, dont les Louisianais faisaient une forte consommation. Au printemps 1768, le déséquilibre atteignit de telles proportions que le gouverneur demanda et obtint de la cour de Madrid un décret destiné à remédier au déficit de la balance louisianaise et à garantir des débouchés nouveaux aux produits espagnols. Ces décisions, loin d'améliorer la situation, suscitèrent la colère des Français et, les historiens se plaisent à le reconnaître, la première révolution de colons contre une puissance coloniale du continent américain !
    Le décret du 3 mars 1768, publié à La Nouvelle-Orléans quatre jours avant la mort à Paris, à l'âge de quatre-vingt-huit ans, de Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville, vénéré comme père de la Louisiane, mit en fureur les habitants. Le Conseil supérieur protesta ; les armateurs, les négociants, les propriétaires s'assemblèrent pour faire connaître leur sentiment. Le décret suspendait les relations commerciales avec la France et limitait aux ports espagnols de Cadix, Séville, Alicante, Carthagène, Málaga, Barcelone, Santander, La Corogne et Gérone les échanges commerciaux avec la Louisiane. Ne pourraient assurer ces relations que les bateaux construits en Espagne, commandés par un capitaine espagnol et dont l'équipage serait composé, pour deux tiers, de marins espagnols. Les navires ne devraient plus faire escale dans aucun port espagnol de l'Amérique et les armateurs ne pourraient plus vendre aux escales des marchandises embarquées. Les contrevenants se verraient retirer leur permis de navigation.
    Le texte, signé du marquis de Grimaldi, ministre d'État, interdisait également l'exportation, à partir de La Nouvelle-Orléans, des produits ne provenant pas de la colonie. À ces consignes le gouverneur ajouta, de son propre chef, l'interdiction d'importer des Noirs de Saint-Domingue et de Martinique. Les esclaves en provenance de ces îles avaient, d'après lui, mauvais esprit et pratiquaient le vaudou qui était, pour tout chrétien, une insupportable manifestation de paganisme et de bestialité. Enfin, l'importation de vins étrangers étant supprimée, les Louisianais devraient renoncer au bordeaux et boire des vins de Catalogne !
    Ces mesures équivalaient toutes à supprimer la liberté du commerce, mais ce fut la dernière qui poussa les Français à la rébellion. En quelques jours, le bordeaux devint breuvage patriotique, symbole des libertés bafouées par l'occupant, qui n'avait même pas hissé ses couleurs sur une si belle colonie, obtenue sans mérite et acceptée sans enthousiasme. Les planteurs et les commerçants se déclarèrent prêts à quitter le pays, et même à passer chez les Anglais. Jean-Baptiste Payen de Noyan, neveu de Bienville, annonça qu'il allait vendre sa plantation et partir pour Cayenne avec ses Noirs, la Louisiane devenant un pays inhabitable ! M. de La Fresnière, procureur du roi et beau-père du précédent, assura qu'il imiterait son gendre si la liberté de commerce n'était pas rendue à tous. Pendant l'été, les conciliabules allèrent bon train dans les plantations hors les murs, où se réunissaient les mécontents. Les meneurs étaient incontestablement Nicolas Chauvin de La Fresnière, bel homme, orateur brillant et convaincant, et Denis-Nicolas Foucault, commissaire ordonnateur, gérant du Trésor royal, doyen du Conseil supérieur.

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