Au Pays Des Bayous
Mercure finit toujours par reconnaître les siens !
En 1666, Louis XIV permit à Denis Langlois, directeur de la Compagnie des Indes, d'acquérir, au fond de la baie que forment les embouchures confondues du Scorff et du Blavet, sept hectares de la lande de Faouëdie, fief des Rohan-Guéméné. Il s'agissait, à l'origine, d'installer un chantier naval pour construire le Soleil-d'Orient , un vaisseau de deux mille quatre cents tonneaux portant cent vingt canons. Ce superbe bâtiment devait donner son nom au site qui allait, en quelques années, devenir un vaste arsenal derrière lequel se développerait la ville de Lorient… sans apostrophe ! Sur cette presqu'île, au fond d'une rade connue, pense-t-on, dès le III e siècle de notre ère et dont la citadelle de Port-Louis défendait l'accès, allaient se développer, au XVIII e siècle, les trois activités principales des Compagnies des Indes successives : construction navale, armement et désarmement des navires, exposition et vente des marchandises en provenance d'Asie, d'Amérique, de Chine et des îles. L'Enclos – ainsi nommé car le site était fermé, côté terre, par un long mur de clôture qui sépare, aujourd'hui encore, l'arsenal moderne de la ville de Lorient – fut d'abord ce que nous appellerions une zone industrielle. Entre les cales du bord de l'eau, où l'on construisait les bateaux, et la corderie qui s'étirait au long du mur d'enceinte, deux mille cinq cents ouvriers appartenant à tous les corps de métier s'activaient autour des forges, de la machine à mâter, des grues, des piles de bois. Charpentiers, menuisiers, goudronneurs, cordiers, calfats, forgerons, canonniers, peintres, voiliers, poulieurs vivaient dans l'Enclos. À partir de 1734, quand furent construits d'après les plans de Jacques V Gabriel, le fils du célèbre Jacques-Ange, les magasins et l'hôtel des ventes, la compagnie draina, les meilleures années, dix pour cent du commerce extérieur de la France. On vit participer aux transactions d'automne de deux à trois cents négociants, français et étrangers, qui séjournaient à Lorient où l'on comptait plus de quinze mille habitants.
Au XVIII e siècle existait déjà, pour les sociétés commerciales, ce que nous appelons aujourd'hui d'un nom anglais : le standing. La Compagnie des Indes y attachait de l'importance, puisqu'elle dépensa, entre 1733 et 1745, pour les aménagements de l'Enclos et la construction des bâtiments administratifs et commerciaux, trois millions de livres, « soit quatre années du bénéfice moyen de la Compagnie », précise Philippe Haudrère. Ce souci de représentation bénéficia au port et à la ville de Lorient, où le quai des Indes, entre la place des Frères-Beaufort et l'entrée de l'arsenal, perpétue le souvenir des grandes aventures maritimes et commerciales.
La Compagnie avait ses armes et sa devise : Florebo quocumque ferar (Je fleurirai partout où je serai portée). Cela ressemblait à un engagement de prospérité, propre à donner confiance aux actionnaires, mais qui ne fut pas toujours tenu.
Armel de Wismes rapporte qu'avant même la construction de la ville le directeur de la Compagnie, M. Édouard de Rigby, un ancien officier de la marine britannique, partisan de Jacques II, contraint à l'exil et devenu officier de la marine française, habitait une superbe maison et menait grand train. S'il montait à bord d'un vaisseau, douze matelots lui rendaient les honneurs. Quant aux domestiques de Rigby, ils portaient de somptueuses livrées de drap vert. La vue de ces dernières avait tellement impressionné le maire de Nantes qu'il décrivit ainsi ces uniformes : « Ils sont galonnés sur les coutures et au bas en falbalas anglais ; les boutons sont d'orfèvrerie, les plaques d'argent, aux armes de la compagnie, pèsent chacune quatre marcs d'argent ; les chemises, ou vestes de coton, sont belles et toujours blanches et il y en a trente-six pour changer ; leur bonnet est en velours. » Il est vrai que ce magistrat, comme tous les Nantais, voyait d'un assez mauvais œil le développement d'un port rival, qui bénéficiait de la faveur royale et allait enlever à Nantes le siège des ventes maritimes.
Les compagnies réorganisées par le grand Colbert ne remplirent que rarement le rôle ambitieux prévu par le réformateur. Le manque de capitaux résultant de l'intérêt très inégal suscité chez les gens fortunés par nos possessions d'outre-mer,
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