Au Pays Des Bayous
mettaient en œuvre la fondation de nouveaux établissements, aux Natchez et sur l'Ouabache notamment, le gouverneur, qui était aussi l'un des principaux associés d'Antoine Crozat dans la Compagnie de la Louisiane, prenait des initiatives dont il espérait quelque rentabilité. C'est ainsi qu'ayant fourni dix mille livres de marchandises à Juchereau de Saint-Denys il décida d'envoyer ce dernier en ambassade commerciale chez les Espagnols du Mexique, via le pays des Indiens Natchitoch que le Canadien avait déjà visité. Ce vaillant soldat, oncle de la femme d'Iberville, officier volontaire pour la Louisiane mais las de servir sans solde, avait abandonné le commandement du fort Laboulaye pour créer son propre établissement, près du vieux fort Biloxi. Il accepta l'offre de La Mothe-Cadillac, rassembla vingt-cinq Français à bord de cinq grands canots et remonta le Mississippi, jusqu'à la rivière Rouge, avant de disparaître pour plusieurs années 7 .
La colonie ne comptait, hélas ! que peu d'hommes de cette trempe ! La population, mécontente de constater que le gouverneur ne se préoccupait que de servir les intérêts de Crozat, ne cessait de récriminer. Ceux qui avaient avancé de l'argent aux militaires, privés de solde depuis six ans, ne parvenaient pas à se faire rembourser. Les prix flambaient à tel point qu'une douzaine d'œufs coûtait quarante sols, une livre de lard, à crédit, huit sols, alors que le cours de la piastre montait et que les Espagnols de Pensacola, qui disposaient de plus de numéraire que les Français, raflaient les produits agricoles proposés par les Indiens. Quant aux officiers, payés en marchandises, ils étaient encore plus mal lotis que leurs hommes, qui vendaient une partie de leur ration, et que les ouvriers de la Compagnie qui travaillaient « au noir » pour améliorer l'ordinaire de leur famille. Dans un tel climat de pauvreté, le jeu stérile des intrigues et des querelles se développait entre les supporters des anciens, comme Bienville et d'Artaguiette, et les représentants de la Compagnie que La Mothe-Cadillac soutenait de son autorité. Conscient de l'hostilité d'une population qui attendait vainement, depuis la signature du traité d'Utrecht, une amélioration de son sort, le gouverneur s'obstinait à résider sur l'île Dauphine, au lieu de s'installer dans la maison construite pour lui à l'intérieur des remparts du nouveau fort de Mobile.
Duclos, en revanche, s'efforçait d'aider les colons et les militaires à supporter les difficultés du moment, leur assurant qu'elles étaient passagères et que la colonie connaîtrait bientôt un développement bénéfique pour tous. En attendant, usant de ses pouvoirs de commissaire ordonnateur, il refusait d'appliquer aux ouvriers et aux matelots la retenue mensuelle que l'administration prélevait sur leur salaire pour prix des vivres qui leur étaient fournis. Le prélèvement imposé, indexé sur le coût local des denrées, alors que les salaires ne l'étaient pas, devait atteindre, en mai 1714, vingt-sept livres par mois. Or les ouvriers les mieux payés gagnaient à peine trente ou trente-cinq livres par mois ! En réduisant la retenue à sept livres dix sols, Duclos encourut les foudres du représentant de Crozat et s'attira les critiques du gouverneur. Dès les premiers jours, les deux hommes s'étaient opposés et, quand le commissaire ordonnateur avait ouvertement pris le parti de Bienville, La Mothe-Cadillac n'avait plus caché son hostilité envers un homme qui, d'après lui, accordait trop d'attention et de crédit aux récriminations des habitants de la colonie. Au fil des mois, Duclos et le gouverneur en étaient venus aux injures, puis avaient cessé toute relation autre que de service. Alors que, traditionnellement, le gouverneur et le commissaire ordonnateur d'une colonie envoyaient au ministre de la Marine un rapport commun, Duclos et La Mothe-Cadillac choisirent d'adresser chacun le leur à Pontchartrain, qui n'en demandait sans doute pas tant !
Le gouverneur, qui voyait d'un mauvais œil les bonnes relations qu'entretenait Duclos, non seulement avec Bienville, mais avec les habitants, abreuvait le ministre de plaintes et de dénonciations. Celles-ci visaient notamment Duclos, accusé de trafiquer sur les farines, et le lieutenant du roi, qui continuait à se comporter comme s'il était le maître de la colonie.
Duclos, pour sa part, faisait de son mieux pour soutenir Bienville.
Weitere Kostenlose Bücher