Au Pays Des Bayous
entretenu par leur commune maîtresse, Élisabeth de Villiers.
Les juges d'Old Bailey, qui assimilaient tout duel à une tentative de meurtre préméditée, avaient condamné à mort le don Juan écossais. Ce dernier n'avait dû qu'à l'intervention d'une dame très haut placée, dont le nom ne fut jamais révélé, mais assez puissante pour braver la justice et circonvenir les gardes de la Tour de Londres, d'être, par une nuit sans lune, conduit à bord d'un vaisseau en partance pour la Hollande.
C'est là que le fuyard, dont la tête était alors mise à prix – cinquante livres seulement – dans la Gazette de Londres du 7 janvier 1695, avait découvert ce qui allait inspirer sa future carrière : la Banque d'Amsterdam.
Cette institution, imitée des banques vénitiennes, fondée en 1609, soutenait depuis sa création les grandes entreprises commerciales hollandaises : Compagnie des Indes orientales, créée en 1602, Compagnie du Nord et Compagnie du Levant, organisées en 1614, Compagnie des Indes néerlandaises, née en 1621.
Le fonctionnement de cette « caisse perpétuelle pour les négociants » fascina Law, qui nota aussitôt : « Les Hollandais ont encore plus raffiné que les Anglais pour la commodité des paiements ; ils ne gardent pas de billets de banque et n'envoient pas les uns chez les autres pour recevoir ; ils ont des ordres imprimés qu'ils remplissent et par lesquels ils assignent en banque les sommes qu'ils ont à payer et reçoivent de même les paiements. »
Leçon de banque dans un boudoir
Ce fut encore dans une alcôve, celle de la plantureuse épouse d'un riche banquier dont il était devenu l'ami, que le peu scrupuleux libertin fut initié aux secrets des changes et à l'art de spéculer sur les monnaies des pays « en mal d'argent ». Il apprit comment un financier peut acquérir une sorte d'ubiquité en se faisant tenir au courant, au jour le jour, par des correspondants particuliers, de tous les événements politiques, économiques et militaires pouvant influer, à travers l'Europe, sur la valeur des monnaies.
Quand il eut conçu et organisé son propre réseau de renseignements et réuni de quoi s'assurer une vie confortable, John Law décida de prendre le large. Laissant sa maîtresse au chevet d'un mari à l'agonie – elle aurait supplié son amant de patienter un peu afin qu'elle puisse lui offrir sa main de veuve et la fortune connexe – l'Écossais prit un bateau pour l'Italie et s'en fut mener joyeuse vie à Venise. Dans la cité des Doges, une jolie personne nommée Lucia, plus fraîche, mais au corsage et au coffre moins remplis que ceux de la Hollandaise, lui fit connaître de nouvelles dissipations et les fameux ridotti de la place Saint-Marc, les salles de jeu les plus réputées du moment.
En courant d'un bal à l'autre, en dînant dans les palais où l'on se fait des relations, en cueillant, au hasard des rencontres, l'amitié d'un sénateur, le caprice d'une comtesse, la confidence d'un spéculateur, les faveurs d'une danseuse ou les indiscrétions profitables d'une camériste ingénue, l'Écossais apprit tout de la banque vénitienne. Il découvrit que les financiers de la Sérénissime supplantaient en astuce leurs imitateurs du pays des tulipes. La Banque del Giro n'avait-elle pas perfectionné la pompe à devises en prêtant à la République les sommes dont cette dernière avait besoin pour soutenir les guerres ?
Quand il fut parfaitement admis dans les milieux où se traitaient les affaires juteuses, John Law, qui ne perdait jamais sa lucidité, ne tarda pas à subodorer que l'avenir de la Sérénissime n'était pas aussi prometteur que les banquiers locaux voulaient le faire croire. Depuis que les nations européennes avaient fondé des établissements dans le Nouveau Monde et canalisé des courants commerciaux qui enlevaient aux armateurs vénitiens les profits des importations orientales, Venise, en tant que place économique et financière, perdait de son importance. Certes la vie vénitienne était exaltante et joyeuse. La cité lacustre jouissait de la plus flatteuse réputation intellectuelle et artistique, ses fêtes passaient pour les plus belles du monde, mais les gens raisonnables la considéraient comme un vaste tripot où les décadents fortunés achevaient de se ruiner et de s'amollir la conscience dans les plaisirs et les vices dont Sodome et Gomorrhe avaient donné l'exemple.
Quittant la lagune, John Law s'était
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