Au pied de l'oubli
avait pas été si vite à lui lancer de l’eau... Bravo mon gars,
bravo ! le félicita Pierre.
— Assis-toi, Jeanne-Ida, pense à ton état, lui recommanda son mari en lui
tendant une chaise.
— J’m’en veux tellement... se culpabilisa Mélanie.
— Arrête ! Si j’étais pas tombée...
Ils parlaient tout bas, jetant des regards angoissés vers le médecin qui avait
découpé les vêtements de Bernard et traitait les brûlures de celui-ci. Docile à
se faire soigner, l’enfant n’émettait à présent que de petits hoquets de
larmes.
— Ça devrait bien guérir pis même pas laisser de traces. C’est superficiel, dit
le docteur en revenant vers la cuisine. Une simple garde-malade aurait pu le
faire.
Jeanne-Ida ne prit pas la peine de relever. Elle alla plutôt retrouver son
fils.
— Il est pas trop brûlé ? voulut s’assurer Jean-Marie.
— Je viens de vous le dire. J’me suis dérangé pour rien. Pas de saleté,
lavez-le bien et y aura pas de problème, c’est pas compliqué, non !
— René ! s’indigna Mélanie devant l’attitude irrespectueuse de l’homme.
— Je vais quand même revenir le voir cette semaine,
ajouta-t-il, semblant soudain un peu honteux de sa conduite. Il va peut-être
faire une bonne cloque. Crevez-la pas. Pour mes frais, rien qu’à passer à mon
bureau.
— Demain sans faute, lui promit Jean-Marie en le raccompagnant.
Avant de sortir de la maison, le docteur Poissan hésita.
— Au revoir, Mélanie, murmura-t-il.
— Dis-moi pas que ça t’a fait plaisir de me revoir, parce que c’est vraiment
pas réciproque, lui rétorqua-t-elle.
Insulté, il tourna les talons. Mélanie referma bruyamment la porte derrière
lui.
Pierre gloussa :
— Tu lui as pas envoyé dire ! J’te connaissais pas de même !
— À force de vivre avec ta mère, faut croire qu’a déteint sur moi.
Du salon, Jeanne-Ida interpella son mari :
— Jean-Marie, il va falloir monter à l’hôpital de Dolbeau.
— Quoi ? s’alarma celui-ci. Mais le docteur a dit que Bernard...
— Pas pour ce fils-là...
Pauvre Jean-Marie... L’incompréhension sur son visage en était presque
émouvante.
— Pour l’autre qui a décidé de venir au monde...
— Ma pauvre Hélène, pis j’ai rien vu venir...
Pour la dixième fois, Julianna secoua la tête de découragement. Elle avait
demandé à Isabelle de les laisser seules. Elle désirait parler « dans le blanc
des yeux » à sa nièce.Compréhensive, son amie lui avait proposé
qu’elles s’isolent dans une des chambres.
— Matante, je l’aime ! s’écria Hélène, debout au pied du lit sur lequel
Julianna s’était assise.
— Mon Dieu qu’on entend ça souvent.
— Et il m’aime aussi !
— Tu es si jeune ! lui dit Julianna.
— Pas pantoute, j’ai vingt-trois ans ! Je suis plus qu’en âge de me
marier.
— C’est vrai, mais... pas avec lui...
— Pas vous, matante Julianna ! Je vous ai toujours admirée. Vous parlez de
l’égalité pour tout le monde, pour les femmes. Vous défendez les injustices ! Je
pensais que vous seriez contente pour moi !
— Hélène, je... je comprends... Es-tu vraiment certaine de tes
sentiments ?
— J’en couperais ma main.
— Tu ne réalises pas la misère... les difficultés... Ton père ne voudra
jamais ! ajouta Julianna en se levant d’un bond.
Sans s’en rendre compte, les femmes échangèrent leur position.
— Je m’en doute ben, murmura Hélène en se laissant choir sur le bord du
lit.
La jeune fille se triturait les mains de nervosité.
— Pis si c’était vous, matante, qui lui en parliez ?
— Hélène, tu vas me dire la vérité. Y a-t-il une raison... urgente... pour que
tu te maries ?
Hélène baissa la tête et cacha sa gêne.
— Non, matante, balbutia-t-elle.
— Es-tu bien certaine que tu ne me contes pas de mensonges ? Vous n’êtes pas
allés trop loin ?
Hélène détestait mentir. Pourtant, elle le fit avec aplomb.
— Je veux attendre mon mariage.
Un peu rassurée, mais à peine, Julianna se mit à faire les cent pas devant sa
nièce.
— Ça n’a aucun bon sens… se répéta Julianna. C’est une passade, une accroire…
On va te présenter des vrais garçons pis…
— Matante ! s’indigna Hélène. Comment pouvez-vous parler comme ça de
Chapeau ?
— Tu vois, il n’a pas de vrai nom !
— Maikan… ça
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