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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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crise et finit par conclure, non sans dépit, que ce ne pouvait être qu’une histoire d’amour. Cette découverte fit tomber Sébastien dans l’estime d’Anquetil. Anquetil ne s’intéressait pas aux histoires d’amour. Il connaissait trop leur mortelle uniformité. Il ne pouvait leur pardonner d’être à la fois si pleinesde promesses et si décevantes. Pour lui, plus vite elles se terminaient, mieux ça valait. Sébastien n’était donc, après tout, qu’un jeune homme banal.
    — Pauvre Sébastien, songeait-il, condamné par sa situation à n’être jamais qu’un homme comme tout le monde, aussi banal qu’un roi. Car ses révoltes, même s’il se révoltait, étaient d’un certain ordre. Contre quoi pouvait-il se révolter, si ce n’était contre son heureux sort, et comment pourrait-il y échapper ? Sa richesse était une chose sûre, son domaine, ce majestueux Chevron, était une chose sûre ; et quant à son grand nom, il le porterait jusqu’à la tombe ; il traînait toutes ces choses à sa suite comme autant de casseroles à la queue d’un chat. Pauvre Sébastien, condamné à être toujours romanesque et banal.
    Anquetil ne s’habilla pas pour dîner. Il en avait été décidé ainsi par Sébastien, qui, au retour de leur promenade, avait dit :
    — Écoutez, nous ne nous habillerons pas, il fait si beau ce soir ; nous sortirons après dîner.
    Viola avait approuvé. Anquetil s’était rendu compte de la hardiesse de cette proposition. Il savait parfaitement que si Sébastien et Viola avaient été seuls, ils se seraient habillés avec autant de soin pour dîner en tête-à-tête que s’il y avait eu trente personnes à table. Il savait également que sa présence avait encouragé Sébastien à déroger aux usages, et il en fut heureux. Mais, peu habitué aux rites d’une maison comme Chevron, il ne mesura l’audace de Sébastien que lorsqu’il croisa le maître d’hôtel dans la bibliothèque et qu’il surprit un coup d’œil rapide sur son veston, suivi d’un coup d’œil presque imperceptiblesur la pendule. Il rendit hommage au tact de Vigeon. Personne, sauf ce maître d’hôtel élevé dans les traditions chevronesques, n’aurait suggéré avec autant de délicatesse qu’il était l’heure d’aller s’habiller. Il fut sur le point de dire : « Sa Grâce m’a prié de ne pas m’habiller », mais, heureux de pouvoir déconcerter Vigeon, il se tut. Il préféra laisser croire que lui, Anquetil, ce farceur, cet aventurier ramassé on ne sait où, ne connaissait pas les bonnes manières. Au même moment, il entendit les pattes de Sarah et d’Henry sur le parquet, et Sébastien entra dans la bibliothèque, en culotte de cheval.
    * * *
    Pendant le dîner, ils furent servis par Vigeon, et Anquetil sentit, avec un malin plaisir, la désapprobation du maître d’hôtel chatouiller ses nerfs. Aux yeux de Vigeon, il était sans doute responsable, non seulement du costume de Sébastien, – manifestation évidente d’une émancipation intérieure –, mais encore de ses discours insolites et de son manque de réserve. Non que Sébastien parlât beaucoup, mais il le contraignait, lui, Anquetil, à parler. Sébastien, au bout de la table, dans la petite salle à manger où ses ancêtres avaient reçu Drake, Frobisher, Pope et Dryden, – ainsi que l’attestaient les portraits suspendus au mur, – Sébastien, dans sa chemise bleue, ridiculement beau et romanesque, faisait dire à Anquetil des choses qu’il n’avait jamais dites devant ses amis les plus intimes ou ses plus belles admiratrices. Il ne pouvait découvrirquelle impulsion le poussait à se soumettre à la personnalité du jeune homme assis en face de lui, moitié patron, moitié enfant. Était-ce quelque atavisme qui, chez lui, répondait au patron en puissance ?
    — Par Dieu, songea-t-il, en regardant le silencieux portrait de Frobisher, aurais-je envie que Sébastien commanditât ma prochaine expédition ?
    Ses rapports avec Sébastien devinrent soudain trop compliqués pour qu’il pût les démêler. Était-il intéressé ? Cynique ? Malicieux ? Cherchait-il à déconcerter cet enfant, à le délivrer, ou bien, encore, à s’en servir ? Ses mobiles étaient-ils purs ou multiples ? Les mobiles étaient-ils jamais purs ? En somme, pourquoi se préoccupait-il tant de Sébastien ?
    — Bah ! se dit-il, il peut m’être utile.
    Puis il songea :
    — Ce serait bien fait pour sa mère si je

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