Au temps du roi Edouard
avait bien posé le tapis rouge dans la cour et remplacé le drapeau de Chevron par le pavillon royal.
— Depuis le temps, – six visites l’année dernière, – on serait en droit de penser que les domestiques ont pris l’habitude de ces réceptions… Eh bien ! le croiriez-vous ? On oublie toujours quelque chose…
Elle reconnaissait, cependant, qu’elle avait été récompensée de tout le mal qu’elle s’était donné, car, sur le côté gauche de sa poitrine plate et républicaine était accrochée une montre en émail mauve, retenue par un nœud de même couleur.
— Je suis obligée de porter le cadran à l’extérieur, expliquait-elle, à cause des initiales qui sont au dos. C’est bien dommage ! J’aurais tant préféré une montre unie.
Et elle retournait le bijou, révélant ainsi les initiales entrelacées : E. R. VII, surmontées de la couronne.
— J’avoue que je n’aime pas du tout ce genre, disait-elle, mais c’est une bonne petite montre ; c’est pourquoi je la porte.
En réalité, tout le monde savait que ce n’était pas une « bonne petite montre » et qu’elle avançait d’une heure par jour.
Lucie disparut derrière la maison, et miss Wace retourna faire ses comptes. Lucie ne cherchait pas Anquetil, ou, tout au moins, elle ne s’avouait pas qu’elle le cherchait ; elle se promenait tout simplement dans le jardin, mais elle trouva Anquetil là où elle l’attendait le moins, dans le pavillon, en train de parler à Viola. Le pavillon servait de salle d’études ; les murs étaient barbouillés de chiffres et de dessins naïfs ; la table, découpée en festons par un canif. Lucie eut un geste de mécontentement qu’elle mit tout de suite sur le compte de Viola. Viola ne lui avait jamais semblé aussi disgracieuse. Lucie aimait les cheveux frisés et noués par un large ruban noir ; Lucie tenait aussi à ce que Viola portât des robes d’enfant ornées de ruches et de garnitures. Or, aujourd’hui, les cheveux de Viola étaient lisses et descendaient en bandeaux de satin noir de chaque côté de son front, accentuant sa pâleur et l’ovale de son visage ; elle portait aussi une robe rouge très sobre, ce qui, aux yeux de Lucie, ne lui allait pas du tout.
— On lui a frisé les cheveux hier, pensa Lucie, et le temps est sec ; elle a dû y mettre de l’eau…
Lucie aimait les fanfreluches et était incapable d’apprécier la simplicité de sa fille. Elle avait de beaux yeux, c’est vrai, et des sourcils bien arqués ; mais pourquoi était-elle pâle comme une sainte et coiffée comme une madone ?
Anquetil et Viola levèrent la tête quand la duchesse apparut, et Lucie comprit qu’elle les gênait. Ce détailne fit que l’irriter davantage ; elle aurait pu pardonner à une autre femme, à Sylvia Roehampton par exemple, de retenir si aisément l’attention d’Anquetil dans le pavillon, car, alors, elle aurait pu lutter avec des armes dont toutes deux connaissaient l’usage ; mais elle ne pouvait pardonner à Viola d’avoir gagné la confiance d’Anquetil par des chemins inconnus d’elle. C’est parce que Viola était une enfant, naturellement, qu’Anquetil s’était laissé aller, lui qui était resté sur ses gardes du samedi au lundi. L’innocence avait réussi là où l’habileté avait échoué. Lucie feignit d’être étonnée :
— Mon Dieu, monsieur Anquetil, je croyais que vous dormiez encore ! Quelle belle matinée, n’est-ce pas ? J’adore faire un petit tour de jardin avant le déjeuner. J’espère, Viola, que vous n’avez pas trop ennuyé M. Anquetil. Et vos leçons, ma chère enfant ? Les avez-vous apprises ? Que font là tous ces livres ? Et miss Watkins, que va-t-elle dire ? Il faut vraiment que je vous enlève, monsieur Anquetil, pour laisser travailler Viola ; sans cela, la pauvre enfant va se faire gronder. Je me demande toujours si miss Watkins n’est pas un peu trop sévère. Mais c’est bien difficile de me mêler de ces affaires ; les institutrices ont chacune leurs principes et ce serait maladroit de leur faire sentir qu’on n’a pas confiance en elles.
Anquetil, qui attendait le moment de placer un mot, saisit l’occasion :
— Ne vous inquiétez pas, duchesse, c’est moi le coupable. Je me suis entendu avec miss Watkins et lui ai promis de raconter des histoires à Viola jusqu’au déjeuner. Je lui ai expliqué que ce serait bon poursa géographie. Et j’ai bien réussi,
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