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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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pouvais l’arracher à tout ceci.
    Enfin, il conclut :
    — J’aime ce garçon et, si je peux l’empêcher de se perdre, je le ferai.
    Viola se mêlait peu à la conversation ; une ou deux fois seulement, Anquetil se tourna vers elle, se demandant à quoi elle pensait. Il ne l’avait guère regardée ; il avait seulement constaté d’un coup d’œil qu’elle était à l’âge où la mince jeune fille est frêle et tremblante comme une plante de la rivière. C’était un âge qui avait son charme ; mais cette réflexion était purement conventionnelle chez Anquetil, car il aimait les femmes graves et réfléchies, les femmes qui connaissaient la vie et avec lesquelles on pouvait parler.
    Sébastien leur proposa de monter sur le toit.
    Il enferma les chiens dans la bibliothèque, prit une bougie et partit en tête. Ils traversèrent les grandes salles d’apparat avec leurs trépieds d’argent, leurs portraits, leurs tapisseries : tous ces objets, en plein jour, étaient pour Anquetil sans mystère, aussi morts, dans leur incontestable beauté, que des pièces de musée ; mais, à la lueur vacillante du flambeau, il lui sembla qu’elles renaissaient à la vie, et il comprit que certaines choses gagnent à être vues dans la pénombre ; celles qui sont trop délicates et trop fragiles pour résister à la lumière brutale du jour. Ne pas voir, c’est déjà croire à demi. Qu’il se soit fait un tel aveu prouvait qu’il avait fait du chemin depuis le matin, alors qu’il se flattait d’être un homme positif, n’attachant d’importance qu’aux contours exacts des objets et à leurs rapports entre eux. Maintenant, il se rendait compte que les apparences pouvaient changer, que la réalité dépendait de celui qui l’observait, de son humeur, de ses préjugés, et ces vieux murs le remplissaient d’une tendresse infinie. Leur beauté, qu’il avait crue de pure forme, devenait pleine de sens. Cependant, il luttait contre l’émotion qui le gagnait, il ne voulait pas se laisser gagner par ces choses mortes, par la seule raison que, jadis, elles avaient vécu, et il résolut, s’il le pouvait, de sauver Sébastien.
    — Cet enfant, pensa-t-il, repose déjà en grande pompe dans son magnifique tombeau. Nous allons voir si nous ne pouvons pas faire sauter l’effigie.
    La lueur du flambeau monta les escaliers noirs et réveilla les ombres des vastes greniers. Ici, pas de couleurs vives, de velours, de dorure ; rien que du plâtreet du chêne gris comme de la cendre. Anquetil préféra cette nudité à la somptuosité des pièces du bas. Ces mansardes aplaties sous le toit étaient comme un vieux squelette débarrassé de sa chair, qu’on avait déposé là pour qu’il reposât hors de vue, et dont chacun feignait d’ignorer l’existence. Il était clair que ni Sébastien ni Viola n’avaient jamais eu de telles pensées en regardant leur domaine. Anquetil, dont les nerfs étaient à vif, sentit violemment qu’il fallait qu’ils se révoltassent contre l’oppression du passé. S’ils étaient en bonne santé, ils devaient se révolter. Lui-même était dans un état de résistance farouche, déchiré, cependant, par des sentiments contradictoires, mais il était décidé à ne pas céder à l’enchantement… Deux malheureux jours avaient donc suffi à produire un pareil bouleversement !… En deux jours, ces magiciens, Chevron, le passé, l’avaient à ce point conquis !… Et Sébastien et Viola, qui, eux, avaient subi le charme pendant vingt ans, sans compter les siècles qui coulaient dans leurs veines, étaient encore vivants, encore éveillés ?…
    Ils débouchèrent sur le toit et Sébastien éteignit la lumière. Le vent nocturne soufflait dans leurs cheveux. Les étoiles, là-haut, étaient semées à l’infini dans un ciel noir. Ils distinguaient à peine ce qui les entourait, mais Anquetil eut l’intuition que la ligne du toit était vaste et irrégulière et qu’il était bien loin au-dessus des pelouses et des arbres du jardin endormi. Son ressentiment contre la maison disparut, maintenant qu’elle était liée au vent nocturne qui le rafraîchissait et qu’il pouvait comprendre. Il fut reconnaissant à Sébastiende les avoir amenés là, et il l’en aima davantage. Mais de tout son cœur, de tout son cœur, il souhaitait que Viola s’en allât.
    Sébastien, comme un jeune fauve, gravit la pente du toit et leur fit signe de suivre. Anquetil suivit. Il était

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