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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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Sylvia ! Épargnez-moi ces lieux communs…
    — Mais ils sont vrais. La société est fondée sur eux. Nous sommes à la tête…
    — Je ne vous croyais pas si près de ces vieilles femmes, dit-il ironiquement.
    — Je ne m’en doutais pas non plus jusqu’à ce que la question se posât, répondit-elle. Vous savez que je n’ai jamais été très prudente. J’ai souvent été téméraire, comme le jour de cette cavalcade, qui a, en quelque sorte, compromis ma situation… Mais si j’ai couru des risques, c’est que je voulais y aller.
    — Oh ! Sylvia ! dit-il, soudain touché par tant de puérilité.
    — Avouez-le vous-même, continua-t-elle, encouragée par sa douceur et sentant qu’elle avait enfin trouvé quelque chose à dire pour sa défense. Je n’ai pas toujours été lâche, n’est-ce pas ? J’ai fait preuve, quelquefois, d’une certaine indépendance ? Je suis allée à cette fête malgré George, et je savais qu’il avait raison. Je savais que des tas de gens – des gens importants – me blâmeraient, mais je l’ai fait quand même. Et j’en ai souffert, ajouta-t-elle. Oh ! oui ! j’en ai souffert !
    Il la regarda, gentiment, sans mépris, songeant que, pour elle, il y avait très peu de différence entre un genre de souffrance et un autre.
    — Vous voyez, Sébastien, continua-t-elle, j’ai toujours été, en quelque sorte, prête à prendre mes responsabilités. Mais il y a un point qu’il m’est absolument impossible de dépasser. À la pensée de vous perdre, j’ai le cœur brisé. Je ne serai jamais plus la même.
    Et c’était vrai.
    — Mais vous serez toujours lady Roehampton et, dans quelques années, on aura tout oublié de la cavalcade… Je crois qu’il faut que je m’en aille… Les domestiques pourraient voir la lumière dans le hall et descendre nous guetter. Ils ne nous ont jamais surpris, et ce serait dommage qu’ils nous surprissent la nuit même où nous nous disons adieu…
    1   En français dans le texte.

V
    Thérèse
    Lucie vint décharger son cœur dans le sein de miss Wace. Assise au bureau de la salle d’études (depuis longtemps, la salle d’études était devenue le domaine privé de Wace), tordant ses jolies petites mains au-dessus du tapis maculé d’encre, elle répétait, comme un refrain :
    — Je voudrais tant savoir ce qui est arrivé, Wacey !
    Wacey savait fort bien à qui Lucie faisait allusion.
    — Il se sauve toujours quand je veux lui parler. Il ne voit plus jamais ses amis. À Chevron, il passe son temps avec Wickenden et avec les fermiers… Vous connaissez cette nouvelle scie rotative qu’il a installée auprès de la forge ? Eh bien, il reste là des heures, les mains dans les poches, à regarder scier les arbres comme si c’étaient des hommes qu’on abattait…
    — C’est que, dit Wacey, quand on a des peines de cœur…
    — Ne dites pas de bêtises, Wacey, fit Lucie, irritée. Vous y connaissez quelque chose, vous, aux peines de cœur ? Vous ne croyez tout de même pas qu’il aimait vraiment cette voleuse d’enfants ? Bonté divine ! Il avait juste un an quand sa fille est née ! Je me rappelle que je l’ai emmené avec moi quand je suis allée voir la petite dans son berceau.
    Lucie, avec une discrétion aussi bizarre qu’inutile, s’embrouillait dans les prénoms à force de vouloir éviter les noms propres.
    — Sa mère et moi — sa mère était encore couchée —, nous faisions déjà des plaisanteries sur leur mariage futur… Cela se passait… oh ! mon Dieu… en 1886… C’était l’époque des tournures…
    Et Lucie, soudain amusée, partit d’un éclat de rire.
    — Que c’était donc ridicule !… J’avoue que nous sommes devenues plus sensées ! Croiriez-vous, Wacey, que j’ai porté des manches de velours arc-en-ciel avec un corsage en satin blanc très ajusté de chez Worth, et qu’un homme, en me voyant me débattre dans une porte, m’a dit : « Oh ! duchesse, vraiment, vous ne devriez porter qu’une seule manche à la fois !… » Après cela, les manches sont devenues si étroites qu’on ne pouvait mettre son chapeau sans faire craquer son corsage…
    Miss Wace adorait Lucie quand elle se laissait ainsi emporter par ses souvenirs ; elle avait remarqué que, depuis quelque temps, la duchesse se plaisait à évoquer ce brillant passé. On aurait dit qu’elle se raccrochait à quelque chose qui était en train de disparaître, à quelque chose qui avait

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