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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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de fleurs avec un panier de gardénias et avait demandé au cocher de s’arrêter ; mais, au moment où le cheval, retenu brusquement par les rênes, glissait des quatre pattes surle pavé mouillé, Sébastien sauta et tomba. La marchande, stupéfaite, flairant un pourboire, lui tendit une main secourable. Mais Sébastien avait besoin de plus que cela : il ne pouvait se tenir debout. Il s’assit donc sur le trottoir, tendit deux pièces d’argent à la marchande et dit qu’il prendrait tous les gardénias.
    En entendant ces mots, le cocher et la jeune fille le regardèrent, stupéfaits et pleins d’admiration. Certes, ce n’était pas le premier venu qui pouvait ainsi se fouler la cheville et conclure son achat avec tant de prodigalité et de sang-froid ! Le cocher s’écria que le jeune homme avait du cran, sans erreur ! La marchande, éblouie, enfouit rapidement les « souverains » dans la tige de sa bottine. Mais, maintenant, que faire ? On ne pouvait laisser là ce jeune homme.
    La rue n’était pas seulement mouillée, mais déserte ; seule une plaque de cuivre sous une sonnette promettait du secours. La marchande sonna. Sébastien, sans que nul pressentiment vînt l’avertir de l’importance de cet acte, se sentit soulevé sous les bras et porté jusque dans le salon du docteur Spedding.
    Thérèse n’avait pas l’habitude de s’occuper des clients de son mari. John était même inflexible à ce sujet. Mais, cette fois, elle décida de passer outre, car, ayant regardé l’accident du haut de la fenêtre de son salon, elle était en train de descendre l’escalier quand la sonnette retentit. C’est ainsi que Thérèse elle-même ouvrit la porte à Sébastien ; étant donné l’art qu’elle avait de reconnaître les physionomies, elle l’identifia sur-le-champ avec le jeune homme brun qu’elle avait vu à l’Opéra, dans la loge de lady Roehampton.
    Pendant la demi-heure qui suivit, Thérèse fut à la torture. Un ami de lady Roehampton sous son toit ! Une entrée possible dans le grand monde ! Il lui importait peu que le veston noir et les pantalons du jeune homme (« costume du matin », murmura Thérèse) fussent couverts de boue, que son chapeau fût devenu un objet lamentable, retiré du ruisseau par le cocher, qui était venu, sur la pointe des pieds, le déposer sur la console dans le petit hall des Spedding, parmi les cartes de visite. Si les vêtements du jeune homme étaient tachés, celui qui les portait n’en faisait pas moins partie du monde de lady Roehampton ! Et cela suffisait à cacher à Thérèse le côté ridicule de la situation…
    John, que la femme de chambre était allée chercher, après avoir répondu avec une dignité un peu tardive à l’appel de la sonnette, sortit de son cabinet avec l’air ennuyé du professionnel. Thérèse courut lui barrer la route dans le vestibule. Il fallait à tout prix, essaya-t-elle de lui expliquer avec passion à voix basse (car le cocher et la marchande de fleurs étaient encore là), il fallait qu’il apprît le nom de son client. John écarta Thérèse d’un geste bienveillant, mais définitif, et disparut dans le salon en fermant la porte avec énergie. Il ne restait plus à Thérèse qu’à monter chez elle et, derrière les rideaux de dentelle qu’elle tortillait entre ses doigts, à épier le départ de leur hôte… John, si équilibré, si réconfortant, en général, n’était pas à la hauteur de ces circonstances… Quand Thérèse essayait de lui montrer leur importance, il se mettait à rire…
    — Ma chère petite snob, avait-il dit un jour.
    Et Thérèse n’avait jamais oublié ces paroles. Elles lui avaient montré combien peu il appréciait les ambitions qu’elle nourrissait pour lui. Pas pour elle, oh ! non !… Mais pour le seul plaisir de voir l’humble praticien de South Kensington devenir le docteur en vogue de Londres… Thérèse, la femme de John Spedding, serait alors invitée aux soirées de Mayfair :
    — Sir John Spedding ! Son admirable petite femme lui a été d’un tel secours dans sa carrière ! dirait-on…
    Thérèse avait tout combiné, mais, pour une raison ou pour une autre, John s’obstinait à ne pas entendre raison.
    Ainsi, ce jeune homme à la cheville foulée qui était dans le salon, John était bien capable de le laisser filer entre ses doigts… Prise d’une résolution subite, Thérèse dégringola l’escalier et colla son oreille au trou de la

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