Au temps du roi Edouard
serrure jusqu’à ce que les deux hommes fussent sur le point de sortir. Ils la trouvèrent en train de mettre d’aplomb les gravures sportives du vestibule…
C’est à ce moment que débuta l’amitié de Sébastien et des Spedding. Avec une surprenante honnêteté, la marchande, avant de partir, avait jeté les gardénias sur la table du salon, parmi les vieux numéros du Punch et des Illustrated London News. Sébastien offrit ces fleurs à la jolie petite femme du docteur… Après son départ, Thérèse, qui savait ce que coûtaient les gardénias, les contempla d’un œil ébloui et les mit enfin dans l’eau, sauf deux, qu’elle épingla à son corsage. Le jeune homme était parti avec John et Thérèse n’avait entendu que l’adresse qu’il avaitjetée : 120, Grosvenor Square ; pas de nom ; et John l’avait appelé « Monsieur » … N’avait-il pas de titre ? Dès que John rentra, elle l’accabla de questions… Il prit un malin plaisir à la taquiner, car il savait bien ce qui se passait dans la tête de Thérèse. Pourquoi, dit-il, s’inquiéter d’un client de passage qui l’avait payé comptant ? Un client introduit dans la maison par un cocher et une marchande de fleurs ne deviendrait certainement pas un client régulier, même s’il attrapait les oreillons ou la rougeole !
Quand ils étaient arrivés au 120, Grosvenor Square, le jeune homme avait plongé la main dans sa poche, et avait demandé au docteur combien il lui devait. Il était ensuite entré dans la maison en boitillant, soutenu par deux valets de pied et suivi d’un maître d’hôtel, tous s’inquiétant comme il convenait de la mésaventure de leur maître ; la porte s’était refermée derrière lui, et John était reparti.
Thérèse brandit ses petits poings devant la figure de son mari. Était-il fou, était-il fou, lui demanda-t-elle, de laisser échapper un tel client sans même lui demander son nom ?
Mais le Bottin mondain était là pour renseigner Thérèse, et celle-ci, après avoir passé sa colère sur un John amusé et sans remords courut le consulter : « Brook Street, Carlos Place, Grosvenor Square : Chevron House ! Comment, il était resté sur le seuil de Chevron House et n’avait même pas accompagné le duc jusqu’à un divan ?… Thérèse se tordit les mains, et son désespoir était sincère. Elle se préoccupait du bonheur de John autant que du sien, du moins elle le pensait, et ce que nous pensons, c’est, en grandepartie, ce que nous sommes. Si John ne voulait rien faire pour lui, déclara-t-elle, eh bien, elle abandonnerait la tâche ardue de l’aider. Elle était sur le point de pleurer, mais John continuait de tirer sur sa pipe et souriait de sa bonne plaisanterie. Il aimait Thérèse, et, à ses yeux, ces faiblesses ne faisaient qu’ajouter à son charme. Cela l’amusait de penser que Thérèse avait abrité un instant un duc dans sa propre maison, et, s’étant heurtée à plus fort qu’elle, l’avait laissé partir. John, quant à lui, n’avait cessé de soupçonner l’identité de Sébastien. Mais il n’était pas homme à insister pour savoir le nom d’un client qui semblait peu disposé à lui révéler son identité.
Un rayon d’espoir, une manifestation de la Providence vinrent soudain calmer Thérèse. Sébastien avait oublié son chapeau dans le hall…
* * *
Dès qu’il reçut le mot de Mme Spedding (Chevron n’avait pas encore le téléphone), Sébastien vint en personne chercher son chapeau. Pourquoi vint-il lui-même au lieu d’envoyer un domestique, il ne le savait pas bien ; il savait seulement qu’il s’ennuyait ; qu’il avait rencontré les yeux de Mme Spedding ; qu’ils étaient pleins de questions et d’ardeur ; qu’il était mortellement las de tous les gens qu’il connaissait ; qu’il aspirait par-dessus tout à s’enterrer à Chevron ; et, comme ses obligations militaires l’en empêchaient, qu’il devait, par n’importe quel moyen, occuper son esprit pour oublier Sylvia. Bref, il se trouvait dans cetétat d’esprit qui suit les histoires d’amour qui finissent mal. Il n’aimait pas penser à Sylvia. Sa raison lui soufflait qu’il n’avait rien à se reprocher ; mais quel homme, si ce n’est le dernier portefaix, aime se dire qu’il a été aimé plus qu’il n’a aimé lui-même ? Ne nous considérons-nous pas toujours, bien qu’à tort, un peu coupables ?
Cette seconde entrevue, entre Sébastien et
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