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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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parie qu’elle a une langue bien pendue ! Et lady Viola, elle est glaciale… Comprenez-vous, John, qu’une inconnue comme Mme Lewison puisse se lancer, comme ça, tout d’un coup ? On ne sait jamais à quoi s’en tenir avec ces gens-là, n’est-ce pas ? On dit qu’elle est en train de mettre à la mode pour les femmes de dîner seules au restaurant avec des hommes. Je n’aime pas ça du tout. Et vous, John ?… Oh ! mon Dieu, que je voudrais avoir des bijoux ! Croyez-vous que les dames mettront leurs diadèmes, pour dîner ? Non, pas dans une habitation particulière ?… Qui est-ce qui va me conduire à table ?… Ah ! si c’était le duc, mais ce ne sera guère possible, avec toute la noblesse qui nous entoure !… Il faut avouer qu’il a été très gentil quand nous sommes arrivés !… Et quels ravissants chiens !… Il a dû penser que nous serions un peu intimidés. Moi, je ne l’étais pas du tout ; et vous, John ? Tant qu’on tient sa place, on n’est jamais ridicule, n’est-ce pas ? Oh ! avez-vous remarqué les fleurs, en entrant ? Du lilas et des roses ! À Noël ! Croyez-vous que le duc nous fera visiter les serres ? Est-ce que je pourrai lui demander ? Ou est-ce que ça aura l’air bête ?
    Et Thérèse avait continué ainsi jusqu’à ce qu’il fût l’heure de s’habiller.
    Chez elle, quand elle avait fait ses valises, elle avait fait l’inventaire de ses vêtements avec une certaine satisfaction. Rien qui ne pût affronter l’œil sévère des femmes de chambre de Chevron. Excepté, peut-être, ses pantoufles. Elle les avait regardées dans tous les sens, puis s’était prononcée en leur faveur ; elles étaient bien un peu usées sur le côté, mais çane se verrait pas, et, vraiment, elle ne pouvait pas demander encore de l’argent à John ; il lui avait déjà donné un si gros chèque ! Mais ici, à Chevron, ses pauvres petites chemises et sa chemise de nuit avaient l’air si modestes ! Quant aux pantoufles, elles étaient devenues sordides. Thérèse se demanda si elle pourrait les cacher. Mais c’était trop tard ; la femme de chambre avait déjà ouvert sa valise et elle les avait vues. Thérèse fut vexée. Elle regretta d’avoir donné ses clefs au valet de pied qui était venu les demander avant dîner. Mais comment aurait-elle pu dire qu’elle ouvrirait sa valise elle-même sans faire preuve d’un manque absolu de savoir-faire 2  ? Et le savoir-faire, pour le moment, était le dieu de Thérèse. Elle avait donné ses clefs comme si, toute sa vie, elle avait eu une femme de chambre ; en réalité, elle avait espéré que ceux qui étaient auprès d’elle croiraient qu’elle avait amené sa servante, mais qu’elle avait gardé les clefs par distraction. La femme de chambre de Chevron était la seule tache dans le paradis de Thérèse.
    Tout cela s’était passé la veille. Pendant le dîner, le maître d’hôtel avait plongé Thérèse dans une nouvelle angoisse en lui demandant : « Champagne, madame ? » Après dîner, les dames étaient montées dans le grand salon, tout fleuri de lilas et de roses, sous la surveillance des portraits de famille, qui remplissaient Thérèse de curiosité et d’admiration ; mais comme personne n’en avait fait la remarque, elle jugea prudent de n’en point faire non plus. Elle s’était sentie profondément malheureuse pendant la demi-heureoù elle était restée seule avec les dames, car Thérèse n’aimait pas les femmes en général, et ces « ladies » qui lui adressaient quelques paroles de politesse mais qui, certainement, auraient voulu la voir à tous les diables, n’étaient pas pour la mettre à l’aise. Clic-clac, clic-clac faisait leur conversation, et Thérèse les regardait avec stupeur, comme autrefois Anquetil les avait déjà regardées, mais les réflexions de Thérèse étaient très différentes. Elle enviait, au lieu de la mépriser, leur prodigieuse suffisance, leur exclusion tacite de tout ce qui n’était pas leur cercle intime. Elle s’émerveillait de l’uniformité de leur apparence : grandes ou petites, grosses ou maigres, jeunes ou vieilles, il y avait une ressemblance indéfinissable dans leurs regards métalliques, dans la ligne dure de leurs bouches, dans le mouvement de leurs mains chargées de bagues et de bracelets. Ces regards, bien que pénétrants, avaient l’apathie d’un œil de poisson ; de plus, les paupières, à peine ouvertes,

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