Au temps du roi Edouard
enlevaient encore aux yeux un peu de la franche générosité qu’ils avaient peut-être possédée un jour. Thérèse pensait que toutes ces dames auraient dû être dans des vitrines de musée, tellement elles avaient l’air figé. Rien ne viendrait sans doute jamais troubler leur belle assurance ; aucune tempête ne pourrait écheveler ces coiffures architecturales, aucune passion ne viendrait ravager ces bustes corsetés. « Aucune passion », songea Thérèse avec un frisson exquis, mais avec une perversité froide et calculée… Elle ne critiquait pas, elle admirait. Elle songeait qu’elles ressemblaient à tous les portraits de Sargent qu’elle avait vus (elle allait au Salon chaque année avec John, aussi en avait-elle vu beaucoup),hôtes divines d’un monde à part, pour qui rien de sordide, de mesquin ni de douloureux n’existait, servies par d’innombrables domestiques, par d’innombrables femmes de chambre, coiffeurs, manucures, spécialistes de beauté, pédicures, tailleurs et couturières, sortant de leurs cabinets de toilette parfumées et équipées pour parler aux « Grands de ce monde » aussi familièrement que Thérèse parlait à Mme Tollputt.
Pourtant, elle était forcée d’admettre qu’elles parlaient toutes pour ne rien dire. Thérèse avait cru qu’elle serait éblouie par leur esprit et leurs révélations. Elle ne savait pas ce qu’on dirait, mais elle était sûre que ce serait merveilleux. Et maintenant, elle découvrait que leur conversation différait très peu de celle de ses amies ; sauf que leurs allusions se rapportaient à des gens qu’elle ne connaissait pas, et que leurs affirmations étaient plus extravagantes. Elles parlaient même de leurs domestiques.
— Oui, ma chère, disait lady Edward, il a fallu que je me débarrasse de mon chef. Nous avions découvert qu’il usait cent quarante-quatre œufs par semaine.
Elles éclataient toutes de rire devant des phrases que Thérèse (à regret) jugeait complètement absurdes. En particulier, il y avait là une dame dont Thérèse ignorait le nom, mais qui ne pouvait ouvrir la bouche sans prononcer des mots complètement inintelligibles qui provoquaient immédiatement l’hilarité générale. Néanmoins, Thérèse était tout oreilles. Elle supposa que c’était une sorte de jargon réservé aux cercles les plus fermés, et elle se sentait flattée qu’on l’employât devant elle.
— Et après din-are , on pourrait peut-être dans-are , disait la dame.
Cette suggestion fut immédiatement accueillie par :
— Quelle magnifique idée, Florence !
Thérèse, elle, n’avait rien trouvé d’original dans l’idée de danser après le dîner.
— Ce sera charmant-are , s’écria Lucie, et, se rappelant soudain ses devoirs de maîtresse de maison, elle ajouta : Il faut dire à Sébastien de prendre Mme Spedding comme partenaire.
Tous ces yeux inquisiteurs se tournèrent soudain vers Thérèse qui se tenait modestement dans un coin. Elle était assez fine pour sentir que la duchesse, prise soudain d’un remords de conscience social, s’était enfin souvenue d’elle, abandonnée dans le froid. Jusqu’ici, personne ne lui avait rien dit, que des phrases comme celle-ci : « Habitez-vous Londres ou la campagne, madame Spedding ? », phrase qui ne pouvait avoir d’autre suite qu’une réponse timide.
Puis, grâce à l’effort de Lucie, Thérèse devint momentanément le point de mire. Toutes les dames suivirent le mot d’ordre. Elles examinèrent Thérèse avec des regards figés qui voulaient être flatteurs mais qui, en réalité, étaient si protecteurs qu’ils éveillèrent la défiance de la jeune femme.
— Je crains de ne pas savoir danser, murmura-elle, sachant fort bien qu’elle dansait à merveille.
À peine avait-elle achevé sa phrase, qu’elle aurait voulu se mordre la langue. Sans le vouloir, elle avait été insolente ; et, bien qu’une partie d’elle-même s’en félicitât, l’autre partie s’en effrayait. Mais leur politesse n’en parut pas ébranlée.
— Nous n’en croyons rien, affirma Lucie, avec son léger rire ; nous n’en croyons absolument rien, – n’est-ce pas ? Je suis sûre que Mme Spedding dans-are comme une ballerine. En tout cas, si vous ne voulez pas être la cavalière de Sébastien, je vous demanderai de vouloir bien prendre Sébastien comme cavalier. Je suis sûre que vous ne pouvez pas refuser cela à sa mère.
Puis, elles
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