Au temps du roi Edouard
avaient laissé Thérèse tranquille, libre de se remettre de l’émoi dans lequel elles l’avaient plongée.
Décidément, elle n’aimait pas ces femmes. Elle fut contente quand les hommes arrivèrent, et que Sébastien se dirigea droit vers elle. Elle répéta à John, ce soir-là, dans leur chambre, que Sébastien avait été « très gentil ».
… Maintenant, elle était dans son grand lit, en train de prendre son petit déjeuner, servi sur un plateau. Elle avait déjà écrit beaucoup de lettres qu’elle avait mises en pile, ayant eu soin de placer sur le dessus une lettre adressée à la seule personne titrée qu’elle connût : la femme d’un chirurgien qui venait d’être fait chevalier. Elle était très jolie, en train de prendre son petit déjeuner au lit, comme si elle l’avait fait toute sa vie, et se prélassait comme une chatte au soleil. John la taquinait en lui disant qu’elle ne voudrait plus jamais retourner à Cromwell Road. Dehors, la neige tombait, silencieuse, et la vaste cour était toute blanche.
— Ne dirait-on pas, fit Thérèse, rêveuse, que tout cela dure depuis des centaines et des centaines d’années ? La neige qui tombe, les hommes qui lajettent du haut des toits avec le même bruit mat, le drapeau immobile, l’horloge qui sonne les heures… Je me demande comment est Chevron l’été… J’espère que le duc nous invitera…
Pauvre Thérèse ! Elle avait essayé d’être habile, et elle était si naïve ! Elle n’avait pas la moindre idée de ce qui, chez elle, attirait Sébastien, ou de ce qui ne l’attirait pas. Elle ne savait pas quelle attitude prendre avec lui. Quand elle apparut enfin, simple et correcte dans le costume de tweed qu’elle avait commandé pour cette occasion, il vint à elle et l’accueillit en souriant, mais, au bout d’une heure, elle était arrivée à l’exaspérer.
— Que pensez-vous de cette neige, madame Spedding ? lui avait-il demandé.
Et, allant à la fenêtre, Thérèse avait répondu que cela ressemblait à une carte postale de Noël. C’était précisément la réponse que Sébastien attendait, mais il surprit un sourire amusé sur les lèvres de lady Templecombe et, dans un accès de colère, il proposa à Thérèse de lui faire les honneurs de la maison. C’était la seule échappatoire qu’il pût trouver. Thérèse était son amie, il fallait l’enlever à ces gens qui l’intimidaient et cherchaient à la rendre ridicule.
Jusqu’alors, elle s’était toujours montrée plus ou moins naturelle avec Sébastien, ; mais, depuis des semaines, en vue de cette invitation, elle avait appris à se tenir sur ses gardes. Aussi n’était-ce pas la femme qu’il connaissait qui suivit Sébastien à travers la maison, c’était une Thérèse tranquille, résolue à tout prix à paraître indifférente. Intérieurement, elle était ébahie devant les velours somptueux et les candélabresd’argent ; elle mourait d’envie de demander quelles étaient les armes représentées sur les fenêtres, de poser mille questions, de montrer son admiration, son ébahissement, son ignorance ; mais elle n’en fit rien. Au contraire, elle marchait, nonchalante et minaudière.
— Mon Dieu ! s’écria-t-elle, devant une Diane et ses nymphes surprises par Actéon , du Titien, n’êtes-vous point heureux que vos ancêtres n’en aient pas fait autant ?
Plus maladroite encore, elle essaya de singer le jargon à la mode.
— Comme vous devez aim-are toutes ces drôles de vieilles chambres !…
Sébastien serra les poings. Il n’attendait pas, certes, que Thérèse comprît les trésors de Chevron, mais il espérait, du moins, jouir des réactions d’un esprit naïf et peu averti et se moquer d’elle, tendrement, affectueusement. Maintenant, il se rendait compte que cette réserve des classes moyennes était la dernière chose qu’il pût supporter. Il aurait préféré la compagnie de Romola Cheyne, de lady Templecombe, de Julia Lewison, ou, passant d’un extrême à l’autre, du vieux Turnour ou de Godden. Ceux-là, du moins, n’auraient jamais été capables de tels airs et de telles mines… Quelle folie l’avait donc pris d’inviter Thérèse à Chevron ? Son monde et le sien ne pourraient jamais se rejoindre. Pour Turnour, c’était différent ; il aimait que Turnour lui parlât de la gelée et des jeunes pousses ; il comprenait l’importance capitale qu’avaient les jeunes pousses pour le vieux
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