Au temps du roi Edouard
Turnour ; il avait aimé entendre Mme Tollputt parlerde ses soldes et de ses draps de domestiques ; il aimait entendre lord Templecombe dire au breakfast :
— Que le diable emporte cette maudite neige, Sébastien ! Ne pouvez-vous rien y faire ? Cela gâte toute ma chasse…
Ce qu’il ne pouvait supporter, c’étaient les bonnes manières hypocrites de Thérèse. Il l’aimait quand elle était snob, franchement et crûment. Mais il ne pouvait supporter les gens qui affectaient d’être ce qu’ils n’étaient pas. Il conclut que Thérèse était une nullité, ni cultivée, ni fruste, et il résolut de la chasser de sa vie pour toujours.
* * *
Après le déjeuner les choses s’arrangèrent. Le matin n’est jamais propice aux relations sentimentales : les amants, ou les futurs amants, ne devraient jamais se rencontrer avant midi. Au déjeuner, Sébastien était assis entre lady Templecombe et Mme Lewison et leur conversation, qu’il avait déjà entendue des milliers de fois, l’avait ennuyé profondément. À une ou deux reprises, il avait surpris le regard de Thérèse et il avait cru sentir qu’une certaine affinité les unissait – illusion fréquente chez ceux que le désir physique abuse momentanément. Les airs et les mines n’étaient donc pas la vraie Thérèse ; c’étaient des barrières qu’elle dressait contre le mâle et contre le duc. Ne voulant pas risquer de confier Thérèse à sa mère et à lady Templecombe, il proposa de faire un bonhomme de neige dans le jardin. Cette proposition futaccueillie par tout le monde avec horreur, sauf par Thérèse et par le curieux John. Thérèse s’oublia et battit des mains ; John lâcha sa pipe et déclara qu’il n’avait jamais fait de bonhomme de neige depuis son enfance ; par Dieu, jamais ! Lucie était visiblement soulagée. Elle organisa vite trois tables de bridge et lança un regard approbateur à Sébastien.
Dehors, la neige avait cessé de tomber, et il gelait dur. Sébastien, John et Thérèse sortirent tout joyeux. De plus, Thérèse était délicieusement jolie, dans son étroit boléro de velours frappé, coiffée d’un chapeau de phoque. Elle marchait gaiement entre eux, babillant et tournant son visage épanoui tantôt vers l’un, tantôt vers l’autre.
— C’est plus beau qu’à Londres, disait-elle ; la neige est si sale à Londres, une véritable boue.
Et elle continuait de babiller, pendant que John et Sébastien choisissaient un gîte pour leur bonhomme. Avant de commencer ce travail, il fallait des outils ; un bonhomme de neige tel qu’ils le concevaient ne pouvait se construire sans outils. Sébastien et Thérèse laissèrent John piétiner la neige et partirent à la recherche des instruments nécessaires. C’était veille de Noël, et la porte de la cabane des jardiniers était fermée. La discipline de l’enfance était encore vivace en Sébastien ; il hésita un instant devant la porte cadenassée, se rappelant les jours où, bien que maître officiel de Chevron, il n’avait pas le droit de faire tout ce qui lui plaisait ; enfin, il s’empara d’un maillet et défonça la porte. Thérèse eut un cri d’épouvante et d’admiration. Sébastien, heureux de révéler à Thérèse sa force et sa maîtrise, se sentit néanmoins coupablecomme s’il était encore un petit garçon. Il pénétra dans la cabane, et, trébuchant contre les bancs, il se rappela qu’autrefois il sortait de la maison, en été, à cinq heures, traversait le parc désert, courait jusqu’au potager, rampait sous les filets pour aller manger les fraises couvertes encore de rosée ; il se rappela qu’un jour, ses doigts étaient restés pris dans les mailles et qu’il avait soulevé délibérément les filets pour laisser les grives effarouchées s’enfuir, faisant preuve alors d’un sentiment peu patriotique envers Chevron, car c’était sûrement mal de laisser s’enfuir les grives voleuses. Il se rappela qu’il avait un jour rencontré Diggs, le chef jardinier, qui portait un panier de raisins, et qu’il avait mendié quelques grappes, mais que Diggs avait retiré le panier en disant : « Non, Votre Grâce m’a menti », et qu’il n’avait jamais pu comprendre ce que Diggs avait voulu dire. Il était certain de n’avoir jamais menti – il haïssait le mensonge et aujourd’hui, à vingt et un ans, il en voulait encore à Diggs d’avoir prononcé cette phrase treize ans auparavant. Aussi
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