Au temps du roi Edouard
de gronder les enfants quand ils manquaient de respect à Sa Grâce… Ils jouèrent à « noisettes de mai ». M. Vigeon choisit très galamment Mme Spedding comme partenaire et Mme Wickenden se vengea en choisissant Sa Grâce. Ainsi, Thérèse et Sébastien se trouvaient face à face, ayant chacun les mains étroitement serrées par les petits doigts brûlants de deux enfants en fièvre. Thérèse se sentait envahie d’un étrange émoi que, dans son innocence, elle attribuait à l’agitation de la journée ; Sébastien, aussi troublé, mais moins innocent, l’examinait attentivement ; cette intimité, au milieu d’une frivolité apparente, était de nature à attiser son désir.
— Qui voulez-vous avoir pour les noisettes de mai ? noisettes de mai ? noisettes de mai ?
— Nous aurons Mme Spedding pour les noisettes de mai, noisettes de mai, noisettes de mai. Nous aurons Mme Spedding, pour les noisettes de mai, par un matin de gelée.
— Et qui enverrez-vous pour l’emmener ? pour l’emmener ? pour l’emmener ?
— Nous enverrons Sa Grâce pour l’emmener, pour l’emmener, pour l’emmener. Nous enverrons Sa Grâce pour l’emmener, par un matin de gelée.
On étendit à terre un mouchoir ; Sébastien et Thérèse s’avancèrent au milieu des éclats de rire pour s’affronter.
— Ce n’est pas de jeu ! criait Thérèse, résistant aux mains qui la poussaient en avant.
— Allons donc, fit Sébastien avec fermeté, tout est de jeu…
Et il la regarda, mais n’acheva pas…
Ils joignirent leurs mains au-dessus du mouchoir ; il y eut une lutte brève, et Sébastien n’eut pas de mal à vaincre Thérèse. Elle se rendit, pantelante, riante, soumise, regardant son vainqueur au milieu de l’acclamation générale. Pour la première fois, depuis qu’elle le connaissait, elle eut peur de Sébastien ; pour la première fois depuis qu’il la connaissait, il fut sûr de Thérèse. Viola les observait ; elle comprit et elle eut pitié de Thérèse, et plus encore de John Spedding.
* * *
— Madame Spedding, venez donc me parler… Vous ne jouez pas au bridge, moi non plus, du moins quand j’ai mieux à faire. Allons faire un tour dans la maison. Personne ne nous verra… Filons… Aurez-vous froid ?
D’un geste brusque, il saisit un manteau abandonné sur le sofa.
— Mais c’est le manteau de votre mère.
— Ça ne fait rien.
Il lui couvrit les épaules. C’était un manteau lamé d’or doublé de zibeline. Thérèse l’avait admiré dans la soirée. La tendre fourrure caressa ses épaules nues. Il lui semblait naturel que Sébastien l’enveloppât d’un tel vêtement. Cependant, elle lança un coup d’œil à John, qui rangeait méthodiquement ses cartes. John, le matin, lui avait laissé entendre qu’il avait un peu peur des gros enjeux ; il espérait bien qu’il ne perdrait pas plus qu’il ne pourrait. Pauvre John, qui lui avait donné cinquante livres pour ses robes à l’occasion de ce séjour à Chevron ! Pauvre John !… Mais la fourrure était chaude et douce à sa peau, et elle n’avait jamais senti une telle caresse ! Sébastien ouvrit la porte devant elle, et elle se trouva dans les galeries obscures, espérant que les autres femmes les avaient vus partir, mais espérant que John n’avait pas levé les yeux.
Sébastien portait un candélabre à trois branches qui éclairait son visage, mais laissait les pièces dans l’ombre. Il était d’humeur douce, ni sarcastique, ni excité, ni railleur, et semblait prêt à livrer à Thérèse quelque chose de lui-même qu’il lui avait toujours caché.
Ils descendirent lentement la longue galerie, parlant avec simplicité, étouffant leurs voix jusqu’au murmure, respectant la maison silencieuse et endormie où le clair de lune, à travers les volets, mettait partout de petites taches de lumière et où la main des siècles semblait s’être doucement posée pour apaiser les clameurs de la vie. Ils se trouvaient dans un mondeétrange et irréel, – un monde dont Sébastien était l’hôte naturel et où il avait accueilli Thérèse comme en ouvrant une porte magique. Elle sentit qu’avec une générosité princière, il lui avait montré maintenant tous ses trésors. Il lui avait montré ses amis et – bien qu’il ne les appréciât point, Thérèse, elle, les appréciait énormément – il lui avait montré sa puérilité et sa gentillesse, à présent, en lui révélant ce
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