Au temps du roi Edouard
avait follement envie d’assister à la cérémonie, elle s’enhardit jusqu’à dire :
— Puis-je venir aussi, duchesse ? Je ne joue pas au bridge…
Les murmures et les piétinements cessèrent dès que la porte s’ouvrit pour laisser entrer la duchesse. Le hall était bondé d’enfants ; sur l’estrade, splendide et solitaire, s’élevait l’arbre immense, illuminé de bougies et étincelant de mille objets en verre de couleur. Des guirlandes d’argent couraient à travers les branches sombres ; des morceaux d’ouate simulaient les flocons de neige ; une poupée pailletée, une reine des fées avec un croissant dans les cheveux couronnaient glorieusement la cime du sapin. Les jouets étaient entassés sur la table et, de chaque côté, il y avait un panier d’oranges et un panier de pommes rouges, prêts à être distribués. Les mères étaient assises autour d’un grand feu de bois, plusieurs avaient leur bébé sur les genoux ; mais quand Lucie entra, elles se levèrent toutes. Quelques-unes firent la révérence, un murmure parcourut le hall, et quelques petits garçons, qu’on avait dûment catéchisés, esquissèrent un salut.
Maintenant que Lucie était devant son auditoire, toute trace d’ennui avait disparu de son visage. Elle aimait, avait-elle dit, faire bien ce qu’elle faisait ; et puis elle n’était pas insensible au bonheur qu’elle répandait ni à la dramatique beauté qui se dégageait de sa personne, car l’arbre projetait une auréole de lumière sur ses cheveux blonds et faisait étinceler les diamants sur sa poitrine. Elle s’arrêta un instant, regarda la troupe d’enfants, pendant que les derniers murmures et les derniers piétinements s’apaisaient ; puis elle parla. Elle prononça de sa voix claire la phrase que, depuis vingt-cinq ans, elle avait prononcée :
— Eh bien, mes enfants, j’espère que vous avez tous eu un bon goûter ?
De nouveaux murmures ; çà et là, on pouvait distinguer un :
— Oui, merci, Votre Grâce.
À ces mots, Mme Wickenden s’avança ; jusqu’ici, elle était demeurée dans les coulisses, attendant le signal de Lucie. La fête des enfants était un grand jour dans la vie de Mme Wickenden. Elle s’avança, une longue liste à la main.
— Dois-je lire les noms à haute voix, Votre Grâce ?
— Oui, je vous en prie, madame Wickenden.
Depuis vingt-cinq ans, la liste était lue par la gouvernante, Mme Wickenden, ou par celle qui l’avait précédée, mais cette petite cérémonie n’était jamais omise. Mme Wickenden n’en aurait pas cru ses oreilles si elle avait entendu Lucie répondre :
— Non, je vais la lire moi-même.
Aussi, toussant pour éclaircir sa voix et ajustant avec soin ses lunettes, elle atteignit le bord de l’estrade et commença d’appeler les enfants un à un. Ils étaient classés par familles, de l’aîné au plus jeune, et les familles étaient rangées strictement dans l’ordre, les enfants du maître d’hôtel venant en premier, puis ceux du menuisier en chef, puis ceux du jardinier en chef, et ainsi de suite jusqu’aux enfants de l’homme qui balayait les feuilles dans le parc. Chaque enfant, quand on l’appelait, se détachait des rangs et montait sur l’estrade ; les petits garçons avaient des costumes épais de laine sombre ; les petites filles, des robes de voile roses, mauves, bleues ou vertes. Une sœur aînée conduisait parfois un jeune frère par la main. Lucie, se penchant très gracieusement pour remettre le cadeau dans les mains avides, avait un mot aimable pour tous.
— Eh bien, comme vous voilà devenue une grande fille !…
— Jacky, si je vous donne ce beau couteau, il faut me promettre de ne pas taillader les meubles de votre maman…
— Alors, voilà le nouveau bébé, madame Hodder ? (Lucie avait une excellente mémoire.) Voyons, quelâge a-t-il, à présent ? Sept mois ? Seulement quatre mois ? Eh bien ! c’est un beau garçon, vous pouvez être fière de lui, et voici un joli hochet pour lui. Il faut qu’il attende quelques années encore pour avoir un couteau, n’est-ce pas ?
C’était une plaisanterie qui, bien que souvent répétée, ne manquait jamais de provoquer les rires. Mme Wickenden était rayonnante, tout en surveillant de près la tenue des enfants.
— Dites merci à Sa Grâce, Maggie… Bob, vous avez oublié de saluer ; maintenant, touchez votre front gentiment devant Sa Grâce.
Et Lucie elle-même,
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