Au temps du roi Edouard
au milieu de sa bienveillance, veillait à la discipline et disait :
— Eh bien, si vous ne me remerciez pas de votre couteau, Jacky, il va falloir que je le reprenne.
Sébastien, qui écoutait, éprouvait un certain malaise devant ces reproches ; il essayait de se dire que sa mère et Mme Wickenden avaient probablement raison, mais il n’était pas sûr que sa mère n’aimât pas affirmer ainsi son autorité. Lui et Viola tenaient leur place dans la cérémonie. Ils donnaient une pomme, une orange et un pétard aux enfants à qui Lucie avait donné un jouet.
De temps à autre, le nom qu’on appelait restait sans réponse ; un murmure s’élevait alors parmi les mères, et Mme Wickenden disait :
— Il n’est pas là ?
Et, se tournant vers Lucie, elle expliquait :
— Les oreillons, Votre Grâce.
Ou :
— Ils habitent trop loin, Votre Grâce, pour venir jusqu’ici par cette neige…
Thérèse était hypnotisée. Elle se tenait modestement à l’écart, éblouie par les lumières, par le grand hall, par les rangées successives de visages, par cette liste de noms qui semblait ne devoir jamais finir. Elle remarqua que beaucoup de familles portaient le même nom : Hodder et Godden, Bassett et Reynolds.
— Féodal, se dit-elle, tout à fait féodal !
Elle se sentait privilégiée et ennoblie de se trouver sur l’estrade aux côtés de Lucie, de Sébastien et de Viola ; mais si elle avait entendu les chuchotements autour du feu, sa vanité aurait été blessée. Les mères, avides de savoir quelle était cette étrangère, car Sa Grâce n’avait pas l’habitude d’être accompagnée de ses invitées, avaient demandé son nom aux femmes de chambre qui se tenaient au milieu d’elles en qualité de demi-maîtresses de maison, berçant les bébés dans leurs bras, et celles-ci avaient répondu avec mépris :
— Une Mme Spedding, la femme d’un docteur.
Et la pauvre Thérèse les avait bien inconsciemment déçues.
Après que le dernier cadeau, la dernière orange, le dernier pétard furent distribués, Mme Wickenden leva la main et cria :
— Chut ! mes enfants !
Aussitôt, le bruit cessa.
— Mes enfants, répéta Lucie, j’espère que vous êtes tous contents de vos cadeaux, et, maintenant, j’espère que vous allez bien vous amuser, et je vous dis au revoir jusqu’à l’année prochaine. Au revoir, mes enfants ! Bonne nuit ! Au revoir à tous !…
Vigeon se leva majestueusement au milieu du hall.
— Trois hourras pour Sa Grâce, mes enfants ! s’écria-t-il. Faites sauter le toit ! Hip ! hip !…
— Hourra ! crièrent-ils.
— Et un autre pour le duc. Hip ! hip !…
— Hourra !
— Et pour lady Viola. Hip ! hip !…
Thérèse retint ses larmes. Que c’était beau ! Comme Viola et Sébastien étaient jeunes, racés ! Comme les enfants devaient les adorer !
— Hourra !
Un pétard éclata. Lucie s’enfuit. Sébastien fit le tour de l’arbre et rejoignit sa sœur.
— Allons-nous rester pour jouer avec eux, Viola ?
— Mais… Mme Spedding ?
— Oh ! elle peut rester aussi.
Vigeon avait déjà remonté le phonographe et son énorme pavillon retentissait. Mais les enfants n’étaient pas d’humeur à écouter. On organisa des jeux. Les femmes de chambre, admirables maîtresses de maison, avaient l’esprit inventif et compétent ; elles trouvaient toujours des chaises pour « les chaises musicales », ou un mouchoir propre pour « j’écris à celui que j’aime », ou un épais cache-nez pour « colin-maillard ». En somme, tout ce dont on avait besoin.
Quand M. Vigeon avait les yeux bandés, il était terrible ; il fallut l’empêcher plusieurs fois de tomber dans le feu ; il plongeait en avant, faisait tournoyer ses bras, de telle sorte qu’on osait à peine se glisser derrière lui, lui donner un coup dans le dos, ou tirer les basques de son habit. Enfin, il attrapa Sébastien, qui avait été trop hardi (il avait été toujours trop hardi,même quand il était un petit garçon), et ils firent tous le cercle autour d’eux, retenant leur souffle, tandis que Vigeon tâtait la tête et le nez de Sa Grâce, et devina juste. Les enfants trépignèrent quand Sa Grâce voulut enfoncer le mur, qu’il attrapa un des léopards, tâta sa queue très soigneusement d’un bout à l’autre et déclara :
— Mme Wickenden…
Maintenant, dans l’excitation générale, Mme Wickenden elle-même oubliait
Weitere Kostenlose Bücher