Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
nord-ouest de Karachi. Parce qu’elle a pénétré un sanctuaire interdit? Non, parce que, deux jours plus tôt, la Grande-Bretagne et la France ont tout simplement déclaré la guerre au Reich !
Commencent l’interminable patience, le camp de Dehra Dun, les tentatives d’évasion (cinq au total) et la longue marche que l’on sait : vingt et un mois de constantes souffrances et privations. Un incroyable purgatoire dont on ne peut nier qu’il a bouleversé les certitudes même les plus extrêmes, même les plus indéfendables d’un homme soudain désemparé. Sept Ans au Tibet rend parfaitement compte de cette quête en forme de rédemption. Ouvert sur une fuite, le récit se poursuit par une découverte et s’achève par une éducation. Aux côtés d’Aufschnaiter, de treize ans son aîné, héros de la Grande Guerre, réfléchi et équilibré, Harrer n’en finit plus de s’interroger et de se remettre en cause. Dans un premier temps, il ne renonce pas à l’idée de rejoindre les troupes japonaises « amies » qui répandent la terreur au nord-est de la Chine, mais il hésite et s’interroge. Son entrée dans Lhassa, sa découverte de la religion bouddhiste, ses contacts répétés avec le jeune Tenzing Gyatso achèvent de le troubler et de le transformer.
L'aveu est lourd de sens, mais il ne suffit pas à convaincre les sceptiques : si Harrer a réprimé certaines de ses aspirations, il aurait aussi tiré avantage d’un contexte beaucoup moins glorieux. Dans ce Tibet où les allées et venues des étrangers sont si surveillées, les moines même indépendants et secrets ne peuvent démentir avoir déjà fréquenté plusieurs explorateurs allemands ! Et Ernst Schäffer en particulier, débarqué pour la seconde fois six mois plus tôt à la tête d’une impressionnante caravane d’anthropologues, d’archéologues et de cinéastes. Une mission chargée, pour l’anecdote, d’apprivoiser le « cheval des steppes », mais qui, plus sérieusement, devait s’enquérir de l’origine exacte de la svastika, la fameuse croix nazie « symbole de bonheur éternel » pour les religieux tibétains depuis des lustres.
Harrer a-t-il eu connaissance de ces croquignolesques croisades? A-t-il été influencé derechef? A-t-il, comme on l’a écrit, récupéré certains documents photographiques abandonnés par Schäfer pour illustrer ses propres ouvrages? Seule certitude : lorsqu’il revient en Europe, en 1952, le pèlerin des Himalayas est un autre homme. Dans un même mouvement, il tourne le dos à l’Autriche, s’installe au Liechtenstein, où le prince lui offre l’hospitalité, et se lance dans la rédaction de son livre épique. Il tente de se rapprocher de son fils Peter, né juste après son départ, et commande que l’on supprime une phrase lourde de sens en conclusion de son récit sur l’Eiger (« Nous avons gravi cette paroi pour parvenir, par-dessus le sommet, jusqu’à notre Führer »). Avec assiduité, il consacre l’essentiel de son énergie au soutien du pouvoir tibétain en exil, demeure lié au dalaï-lama et traduit le livre de Norbu, son frère aîné.
Parallèlement, il poursuit ses escalades et multiplie les voyages. Il réussit une belle première au Chili et manque de se rompre les os en Nouvelle-Guinée. Il s’enfonce dans la jungle amazonienne en compagnie du roi Léopold de Belgique, fait escale au Ladakh, au Groenland, à Bornéo, au Sikkim d’où il rapporte autant de récits et de films qui lui confèrent le statut de « spécialiste allemand de l’aventure et de l’exploration ». En chaque occasion, Harrer prend le parti des communautés autochtones, victimes du progrès ou du pragmatisme ambiant.
Mais même cette dernière attention n’a pas l’heur d’émouvoir ses accusateurs. Leni Riefenstahl ne s’était-elle pas, elle-même, bombardée spécialiste des tribus du Sud-Soudan ? Au soir de sa vie, Heinrich Harrer ne cessait de ressasser : « Le mal est fait. On a décidé de me salir, de me traîner dans la boue. Que je me taise ou que je parle, j’aurai toujours tort. C'est l’époque qui veut ça. » L'époque ou une certaine inconséquence ? Qui tendrait à absoudre Riefenstahl – puisqu’il est question d’elle –, impliquée dans le processus de propagande, au seul prétexte qu’elle n’a jamais adhéré au parti nazi, mais qui condamnerait Harrer pour les raisons inverses – une indiscutable affiliation, mais aucun engagement pendant la
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