Azincourt
Oui* .
— Nicholas.
— Nicholas, répéta-t-elle.
— Juste Nick, corrigea-t-il.
— Jusnick ?
— Nick.
— Nick.
Ils chuchotaient, tandis que la
ville où flottait une odeur d’ale et de sang retentissait de cris.
— Je ne sais pas comment nous
allons pouvoir partir, lui dit-il.
Elle ne comprit pas mais hocha la
tête et s’endormit sous la paille, la tête sur son épaule, tandis que Hook
fermait les yeux et priait Crépinien. Aide-nous à quitter cette cité, le
supplia-t-il, et permets-moi de retourner chez moi. Sauf, songea-t-il
avec désespoir, qu’un hors-la-loi n’a pas de chez lui.
« Tu retourneras chez
toi », lui dit saint Crépinien.
Hook se figea. Avait-il encore
imaginé cette voix ? Elle semblait pourtant bien réelle, aussi réelle que
les cris d’agonie des archers. Mais comment fuir la ville, alors que les
Français avaient dû poster des sentinelles à toutes les portes ?
« Tu passeras par la
brèche », lui suggéra aimablement Crépinien.
— Nous passerons par la brèche,
répéta Hook à Mélisande qui dormait toujours.
Alors que la nuit tombait, Hook vit
des cochons que l’on avait dû libérer des porcheries venir se repaître des
cadavres des archers. Soissons était plus calme, maintenant que les vainqueurs
étaient rassasiés. La lune se leva, mais Dieu fit surgir des nuages qui la
voilèrent complètement, et Hook et Mélisande descendirent dans la rue
empuantie. C’était le milieu de la nuit et les hommes ronflaient dans les
maisons saccagées. Personne ne gardait la brèche. Tenant la main de Mélisande,
revêtue de la cotte d’armes ensanglantée de sir Roger, Hook gravit les
décombres de la muraille, puis ils traversèrent les tanneries, passèrent le
camp abandonné des assiégeants et gagnèrent la forêt, où ne pourrissait aucun
cadavre.
Soissons était morte. Mais Hook et
Mélisande étaient vivants.
— Les saints me parlent, lui
dit-il à l’aube. Crépinien, en tout cas. L’autre est plus sinistre. Parfois, il
parle, mais guère.
— Crépinien, répéta Mélisande,
apparemment ravie d’avoir compris quelque chose.
— Il a l’air gentil, dit Hook.
Et il veille sur moi. Et sur toi aussi, je crois bien ! (Il lui sourit,
reprenant soudain confiance.) Nous devons nous procurer des vêtements décents,
ma fille. Tu as étrange allure ainsi accoutrée.
Cependant, si Mélisande avait une
drôle d’allure, elle était aussi fort charmante. Hook ne s’en rendit compte que
dans la forêt, quand le soleil darda ses milliers de rayons d’or vert à travers
les feuillages, mouchetant un mince visage encadré de cheveux aussi noirs que la
nuit. Elle avait des yeux gris comme la lune, un long nez et un menton
volontaire qui, comme Hook allait l’apprendre, trahissait son caractère entêté.
Elle était d’une maigreur pitoyable, mais avait de la force et méprisait toute
faiblesse. Sa bouche était large, expressive et bavarde. Hook finit par
apprendre qu’elle avait été novice dans un ordre où l’on faisait vœu de
silence, et durant les premiers jours Mélisande eut l’air de vouloir rattraper
ces mois de mutisme forcé. Il ne comprenait pas un mot, mais il écoutait avec
enchantement ses babillages.
Ils restèrent tapis dans les bois la
première journée. De temps en temps, des cavaliers apparaissaient dans la
vallée sous les hêtres. C’étaient les vainqueurs de Soissons, mais ils
n’étaient pas en tenue de guerre. Certains chassaient au vol, d’autres
paraissaient seulement se promener, et aucun ne s’occupait des rares rescapés
de Soissons qui fuyaient à présent vers le sud ; mais Hook, ne voulant pas
risquer de croiser un Français, resta caché jusqu’à la tombée de la nuit. Il
avait décidé de pousser vers l’ouest pour retourner chez lui, même si sa
condition de hors-la-loi faisait de l’Angleterre un pays aussi dangereux pour
lui que la France, mais il ne savait où aller. Mélisande et lui voyagèrent de
nuit, à la lumière de la lune. Ils volaient leur nourriture, généralement un
agneau que Hook enlevait dans l’obscurité. Il redoutait les chiens de berger,
mais peut-être saint Crépin et sa houlette le protégeaient-ils, car jamais ils
ne bronchèrent quand Hook égorgeait l’animal. Il rapportait la petite dépouille
au cœur de la forêt, où il faisait du feu pour la cuire.
— Tu peux aller ton chemin,
dit-il un matin à Mélisande.
— Aller ? répéta-t-elle
sans
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