Azincourt
n’aient à ses
yeux guère de différences.
— Nous sommes une compagnie,
exhortait-il ses hommes. Archers et hommes d’armes, unis ! Nous combattons
les uns pour les autres. Nul ne blesse l’un de nous impunément ! Et c’est
ce que tu vas faire, Hook. Goddington, donne-lui son surcot.
Peter Goddington apporta à Hook le
vêtement d’étoffe blanche aux armes de sir John : un lion de gueules
rampant, une étoile d’or à l’épaule et coiffé d’une couronne d’or.
— Bienvenue dans la compagnie,
dit sir John. Quels sont tes nouveaux devoirs, Hook ?
— Vous servir, sir John.
— Non ! J’ai pour cela des
serviteurs ! Ta tâche, Hook, est de débarrasser le monde de quiconque me
déplaît ! Alors ?
— Débarrasser le monde de
quiconque vous déplaît, sir John.
Et cela faisait beaucoup. Sir John
aimait son roi, révérait son épouse plus âgée qui était la tante du souverain,
adorait les femmes à qui il faisait maints bâtards et était dévoué à ses
hommes ; mais le reste du monde n’était guère plus que damnée vermine tout
juste bonne à mourir. Il tolérait ses compatriotes, mais les Gallois étaient
des gnomes péteurs et mangeurs de chou, les Écossais des gueux galeux et les
Français des étrons.
— Et tu sais ce que tu dois
faire des étrons, Hook ?
— Les tuer, sir John.
— Fondre sur eux et les tuer.
Qu’ils sentent ton haleine en mourant. Qu’ils te voient sourire quand tu les
éventres. Il faut les faire souffrir avant que de les tuer. N’est-il pas vrai,
mon père ?
— Vous parlez la langue des anges,
sir John, dit le père Christopher.
Le confesseur de sir John, comme les
archers rassemblés sur le pré, portait un haubert, de hautes bottes et un
casque. Rien n’indiquait qu’il était prêtre, mais si tel avait été le cas, il
n’aurait pas été au service de sir John. Car celui-ci voulait des soldats.
— Vous n’êtes pas des archers,
continua sir John. Vous tirez des flèches jusqu’à ce que ces gueux putrides
arrivent sur vous, puis vous les tuez comme des hommes d’armes ! Vous ne
m’êtes point utiles si vous savez seulement tirer ! As-tu déjà tué un
homme d’assez près pour l’embrasser, Hook ?
— Oui, sir John.
— Parle-moi du dernier, sourit
sir John. Comment t’y es-tu pris ?
— Avec un couteau, sir John.
— Comment ! Pas avec
quoi !
— Je lui ai fendu le ventre de bas
en haut.
— Ta main fut-elle
mouillée ?
— Ruisselante, sir John.
— Du sang d’un Français,
hein ?
— C’était un chevalier anglais,
sir John.
— Maudit sois-tu, Hook, mais je
t’aime ! s’exclama sir John. Car c’est ainsi qu’il faut faire !
cria-t-il aux archers. Transpercer des ventres, crever des yeux, trancher des
gorges, couper des couilles, empaler et couteler ! N’est-il pas vrai, père
Christopher ?
— Notre Seigneur n’aurait su
exprimer le sentiment avec plus d’éloquence, sir John.
— Et l’an prochain, poursuivit
sir John, nous irons peut-être tous à la guerre ! Notre roi, Dieu l’ait en
Sa sainte garde, est le légitime souverain de France, mais les Français lui
refusent son trône. Et si Dieu le veut, il nous laissera envahir la
France ! Nous serons prêts !
Nul ne savait si la guerre aurait
lieu. Les Français avaient envoyé des ambassadeurs au roi Henry qui avait
envoyé ses émissaires en France, et des rumeurs avaient balayé l’Angleterre
comme pluies d’hiver au vent d’ouest. Cependant, sir John en était certain et
il avait passé contrat avec le roi comme tant d’autres. Par là, il s’engageait
à amener trente hommes d’armes et quatre-vingt-dix archers au service du roi
pour douze mois, et en retour le roi paierait leur solde. Le contrat avait été
rédigé à Londres, et Hook fut parmi les dix hommes qui se rendirent à
Westminster quand sir John y apposa son seing et son sceau. Le clerc attendit
que la cire fut refroidie avant de couper méticuleusement par la longueur le
parchemin en deux parties irrégulières. L’une fut enfermée dans un sachet
d’étoffe blanche, et l’autre remise à sir John. Dès lors, si quiconque doutait
de la provenance du document, les deux morceaux inégaux de l’endenture
pouvaient être réunis et nul ne pouvait fabriquer un faux.
— Le trésorier vous fera une
avance sur vos dépenses, sir John, déclara le clerc.
Le roi recueillait de l’argent en
levant des impôts, contractant des prêts et
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