Azincourt
Hook jeta encore
quelques rameaux dans le tonneau, puis il s’essuya les mains.
— Eh bien, voici une bonne
chose de faite, dit-il en voyant le résultat.
Le père Christopher sourit avec
bienveillance, puis il contempla les collines boisées sous le soleil par-delà
les toits de chaume.
— Dieu, que j’aime
l’Angleterre, dit-il. Et Dieu sait pourquoi le jeune Henry désire tant la
France.
— Parce qu’il en est le roi.
— Il a des droits sur la
couronne, Hook, mais d’autres aussi. Si j’étais roi d’Angleterre, je resterais
ici. Est-ce ton ale ?
— Oui, mon père.
— Sois chrétien et donne-m’en.
(Il leva le pichet et en but une gorgée.) Mais en France nous allons et sans
doute nous vaincrons !
— Vraiment ?
— Dieu seul le sait, Hook. Il y
a nombre de Français ! Et s’ils cessent de se quereller entre eux et se
liguent contre nous ? Cependant, nous avons cela, ajouta-t-il en désignant
l’arc. Eux non.
— Puis-je vous demander quelque
chose, mon père ? fit Hook en sautant du chariot pour venir s’asseoir près
de lui.
— Oh, pour l’amour du Ciel, ne
me demande pas pour qui Dieu a pris parti.
— Vous nous avez dit qu’il
était de notre côté !
— C’est vrai, Hook, je l’ai
dit, et il y a des milliers de prêtres français qui disent la même chose à
leurs ouailles ! sourit-il. Je vais te donner un saint conseil. Mets ta
confiance dans l’arc d’if, mon garçon, et non dans les paroles d’un prêtre.
— Que savez-vous de saint
Crépinien, mon père ?
— Oh, une question théologique,
fit le père Christopher. (Il vida le pichet et en frappa la table pour qu’on
lui en apporte un autre.) Je ne crois pas en savoir bien long. Je n’ai pas
autant étudié que j’aurais dû à Oxford. Il y avait trop de filles à mon goût,
sourit-il. Il y avait là-bas un bordel, Hook, où toutes les filles étaient
vêtues en nonnes. On s’y bousculait tant il y avait de prêtres là-dedans !
J’y ai vu l’évêque d’Oxford au moins dix fois. Heureuse époque, soupira-t-il.
Alors, que sais-je sur la question ? Eh bien, qu’il avait un frère du nom
de Crépin, mais certains disent qu’ils n’étaient point frères, d’autres qu’ils
étaient nobles et d’autres que non. Ils auraient été cordonniers, ce qui ne me
paraît guère une occupation de noble, ne crois-tu pas ? Ils étaient
certainement romains. Ils vécurent il y a mille ans, Hook, et bien sûr ils
furent martyrisés.
— Alors Crépinien est au Ciel.
— Lui et son frère sont à la
main droite de Dieu, opina le père Christopher, où j’espère qu’ils sont mieux
servis que moi ! (Il frappa de nouveau la table et une fille qui sortit
sur le seuil eut droit à un grand sourire.) Porte-moi encore de cette ale, ma
mie, lui dit-il en jetant quelques sous sur la table. Deux pichets, ma jolie.
Oh, soupira-t-il quand elle fut repartie, que ne suis-je encore jeune.
— Vous l’êtes, mon père.
— Seigneur Dieu, j’ai
quarante-trois ans ! Je serai bientôt mort, aussi mort que Crépinien, mais
il fut difficile à tuer.
— Ah ?
— J’essaie de me souvenir.
Crépin et lui furent torturés parce qu’ils étaient chrétiens. On leur fit subir
les pires supplices, mais aucun ne les tua et durant tout ce temps, ils
chantèrent les louanges de leurs bourreaux ! Je ne pense pas que je
pourrais être aussi brave. (Il se signa, sourit à la fille qui rapportait l’ale
et lui fit signe de garder sa monnaie.) Ils en étaient donc là, poursuivit-il,
ravi, et l’homme qui les suppliciait décida de les achever promptement,
peut-être parce qu’il était las de les entendre chanter. Il leur attacha des
pierres au cou et les jeta dans la rivière. Mais les pierres flottèrent !
Il dut les en retirer et les jeter sur un bûcher. Mais même cela ne les tua
point. Ils continuèrent de chanter et les flammes ne les touchèrent point, et
Dieu remplit le bourreau d’un tel désespoir qu’il finit par se jeter dans le
feu. Il brûla, mais les deux saints vécurent.
Un petit groupe de cavaliers était
apparu au bout de la rue. Comme aucun ne portait la livrée de sir John, ils
continuèrent.
— Dieu avait sauvé les deux
frères de la torture, de la noyade et du feu, mais pour quelque raison il finit
par les laisser mourir tout de même. Ils eurent la tête tranchée par l’empereur
et cela les empêcha de chanter… ce qui est dans l’ordre des choses,
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