Azincourt
ne prie
que pour cela, soupira sir John.
Et à présent, songea Hook, les
prières de sir John étaient exaucées. Car bientôt, très bientôt, ils
partiraient pour la guerre. Ils feraient voile pour jouer le jeu du diable. Ils
se rendraient en France. Et ils combattraient.
DEUXIÈME PARTIE Normandie
Nick Hook avait peine à croire que
le monde recèle autant de navires. Il vit pour la première fois la flotte quand
les hommes de sir John se rassemblèrent sur le rivage de Southampton, afin que
les officiers du roi puissent compter la compagnie. Sir John avait contracté de
fournir quatre-vingt-dix archers et trente hommes d’armes, et le roi était
convenu de les lui payer quand les hommes embarqueraient et après vérification.
Hook contemplait la flotte avec stupeur et émerveillement. Il y avait des
navires partout, si nombreux qu’on ne voyait plus l’eau. Goddington le
centenier avait dit qu’ils étaient quinze cents. C’était incroyable, mais il
les voyait à présent.
L’inspecteur royal, un vieux moine
aux doigts tachés d’encre, passa en revue la rangée de soldats pour s’assurer
que sir John n’avait engagé ni infirmes, ni garçonnets, ni vieillards. Il était
accompagné d’un austère chevalier en livrée royale qui inspectait les armes. Il
ne trouva rien à redire, mais il s’y attendait.
— Le contrat de sir John
stipule quatre-vingt-dix archers, argua le moine en arrivant au bout du rang.
— Si fait, opina joyeusement le
père Christopher, qui était chargé de la compagnie en l’absence de sir John,
resté à Londres auprès du roi.
— Et j’en compte
quatre-vingt-douze ! répondit le moine en faisant mine de s’indigner.
— Sir John jettera par-dessus
bord les deux plus faibles, dit le père Christopher.
— Très bien ! dit le
moine. (Son austère compagnon approuva.) L’argent vous sera porté cet
après-midi. Dieu vous bénisse tous, ajouta-t-il en remontant sur son cheval et
en s’éloignant vers les autres compagnies, suivi de ses clercs chargés de sacs
de parchemins.
Le navire de Hook, Le Héron ,
était un vaisseau marchand ventru, à proue ronde et poupe carrée, dont le gros
mât arborait la bannière au lion de sir John. À côté attendait le navire du
roi, le Royale Trinité, de la taille d’une abbaye et encore plus
imposant avec ses deux châteaux de poupe et de proue peints de rouge, bleu et
or, qui lui donnaient l’allure d’un chariot chargé d’une pile trop haute de
bottes de paille. Ses flancs étaient ornés d’écus blancs peints de croix rouges
et il arborait trois étendards. À la proue flottait une bannière ornée de
quatre cercles blancs reliés par des bandes de lettres noires.
— C’est l’étendard de la
Sainte-Trinité, indiqua à Hook le père Christopher en se signant. (Hook ne
répondit pas.) On aurait pu croire que la Sainte-Trinité exige trois étendards,
mais la modestie règne aux cieux et un seul suffit. En connais-tu la
signification, Hook ?
— Non, mon père.
— Alors je vais réparer cette
ignorance. Les cercles extérieurs sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit,
réunis par les bandes qui disent non est.
— « N’est point »,
dit Mélisande.
— Mon Dieu, elle est aussi
intelligente que belle, se réjouit le père Christopher en la toisant lentement
de haut en bas. (Elle portait une robe ornée des armes de sir John, mais ce
n’était pas l’héraldique qui intéressait le prêtre.) Ainsi, le Père n’est point
le Fils, qui n’est point le Saint-Esprit, lequel n’est point le Père, et
pourtant ces cercles extérieurs sont liés au cercle intérieur, qui est Dieu, et
sur les bandes les reliant à celui-ci est écrit est. Ainsi le Père est
Dieu, le Fils est Dieu et le Saint-Esprit est Dieu, mais ils ne sont pas les
uns et les autres. C’est très simple, en fait.
— Je ne trouve pas, dit Hook.
— Bien sûr que ce ne l’est
point ! sourit le père Christopher. Je crois que personne ne comprend la
Sainte-Trinité, sauf le pape, mais lequel, hein ? Nous en avons deux en ce
moment, alors que nous n’en devrions avoir qu’un. Mais comme Grégoire non
est Benoît et Benoît non est Grégoire, espérons que Dieu sait lequel est le pape. Dieu, que tu es jolie, Mélisande. C’est du gâchis que tu te
donnes à Hook. (Elle fit une grimace qui le fit rire et il lui lança un baiser
du bout des doigts.) Prends soin d’elle, Hook.
— Je n’y manque jamais,
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