Azincourt
mon
père.
Le père Christopher parvint à
détacher son regard de la jeune fille et contempla le Royale Trinité où
l’on transbordait des ballots depuis une douzaine de chaloupes qui y étaient
arrimées comme autant de porcelets collés à une truie allaitante. À la poupe
flottait l’étendard d’Angleterre, la croix rouge de saint George sur fond
blanc. Chacun des hommes de l’armée d’Henry avait reçu deux telles croix qui
avaient été cousues sur leurs cottes d’armes par-dessus les livrées de leurs
seigneurs. Sur le champ de bataille, avait expliqué sir John, il y avait trop
d’armoiries, de bêtes, symboles et couleurs, mais si tous les Anglais portaient
le même, la croix de saint George, ils se reconnaîtraient dans ce chaos.
Au grand mât du vaisseau royal
flottait l’étendard du roi, la grande bannière écartelée d’azur aux lys d’or de
France et de gueules aux léopards d’Angleterre. Henry se prétendant roi des
deux pays, ses armes les montraient tous les deux, et la grande flotte amarrée
à Southampton transporterait une armée destinée à réaliser ces prétentions. La
veille de leur départ de Londres, sir John avait dit à ses hommes que c’était
une armée comme nulle autre.
— Notre roi a bien fait les
choses ! avait-il fièrement déclaré. Nous sommes les meilleurs !
Notre roi a dépensé l’argent et gagé ses joyaux ! Il a acheté la meilleure
armée qui soit, et nous en faisons partie. Nous ne faillirons point à notre
roi ! Dieu est à nos côtés, n’est-ce pas, mon père ?
— Oh, Dieu déteste les
Français, avait opiné le père Christopher, comme s’il était le confident du
Seigneur.
— C’est parce que Dieu est
sage, avait continué sir John. Le Tout-Puissant sait qu’il a commis une erreur
en créant les Français et Il nous envoie la réparer ! Nous sommes l’armée
de Dieu et nous allons éventrer ces bâtards du diable !
Quinze cents navires allaient
transporter douze mille hommes et au moins deux fois plus de chevaux par la
Manche. Ils étaient pour la plupart anglais, avec quelques Gallois et une
poignée qui venaient des possessions d’Henry en Aquitaine. Hook imaginait à
peine un nombre aussi élevé, mais le père Christopher, appuyé au plat-bord du Héron, les mit en garde :
— Les Français peuvent
rassembler trois fois plus d’hommes, et peut-être plus encore. Dans la
bataille, Hook, nous aurons besoin de tes flèches.
— Ils ne se battront pas, dit
l’un des hommes d’armes.
— Certes, ils n’aiment point
nous combattre, regretta le prêtre. Ce n’est plus comme au bon vieux temps.
— Crécy et Poitiers ?
— Cela aurait été
grandiose ! Imagines-tu avoir été à Poitiers et avoir capturé le roi de
France ? Cela n’arrivera point cette fois.
— Pourquoi donc, mon
père ? demanda Hook.
— Ils connaissent nos archers.
Ils se tiennent à distance, calfeutrés dans leurs villes et châteaux, en
attendant que nous nous lassions. Nous pourrons traverser douze fois la France
sans qu’il y ait bataille… mais si nous ne pouvons pénétrer dans leurs
forteresses, à quoi bon arpenter le pays ?
— Pourquoi n’ont-ils point
d’archers ?
Mais Hook connaissait déjà la
réponse. Il lui avait fallu dix ans pour devenir archer. Il avait commencé à
sept avec un petit arc auquel son père le faisait s’exercer chaque jour ;
et chaque année, jusqu’à sa mort, il lui en avait fait un plus grand et plus
solidement cordé. Hook avait appris à bander l’arc avec tout son corps et non
juste ses bras, afin de s’aguerrir. À la mort de son père, il avait pris le
grand arc et s’était entraîné à tirer flèche sur flèche, parfois jusqu’au crépuscule.
Et alors que ses doigts s’endurcissaient, il en advint de même des muscles de
son dos, de sa poitrine et de ses bras. Il le fallait, pour bander le grand
arc, tout comme il fallait apprendre à oublier son œil. C’est pourquoi les
Français n’avaient que quelques chasseurs qui savaient tirer à l’arc, car il
n’y avait pas parmi eux d’hommes ayant pris des années pour apprendre comment
faire d’une pièce d’if et d’une corde de chanvre une partie d’eux-mêmes.
Au nord du Héron, quelque
part dans l’enchevêtrement de vaisseaux, montait le panache de fumée d’un
navire qui brûlait. On disait que des rebelles avaient voulu incendier la
flotte. Le père Christopher avait sèchement reconnu qu’il y avait en
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