Azincourt
camp fut occupé toute la nuit.
Des hommes portaient des fagots jusqu’à la tranchée la plus proche de la
barbacane. Ils étaient destinés à combler le fossé inondé qui la protégeait,
afin de pouvoir traverser et attaquer.
Les hommes d’armes de sir John
reçurent l’ordre de revêtir leur armure complète. Sur les trente venus de
Southampton le jour de l’envol des cygnes, il n’en restait plus que dix-neuf en
état de servir. Six étaient morts, les cinq autres étaient la proie de la maladie.
Des écuyers les aidèrent et un prêtre de la maison de sir William Porter vint
entendre les confessions et donner sa bénédiction. Sir William était le plus
proche ami de sir John et son frère d’armes : ils combattaient ensemble et
avaient juré de se protéger, de payer leur rançon s’ils étaient par malheur
faits prisonniers et de veiller sur la veuve si l’un venait à mourir. Sir
William était un homme au visage étroit, aux yeux clairs et aux cheveux
clairsemés. Avec son air de clerc studieux, il semblait incongru dans son
armure, comme s’il eût été plus à sa place dans une bibliothèque ou un
tribunal, mais que sir John l’ait choisi comme compagnon d’armes en disait long
sur son courage. Il ajusta son casque et abaissa sa visière avant d’encourager
d’un signe les archers de sir John.
Ceux-ci étaient armés et revêtus de
leurs armures. La plupart, comme Hook, portaient un gambison rembourré muni de
plaques de métal cousues sur une cotte de mailles. Ils portaient des casques,
et quelques-uns des camails. Leur bras protégé par une brasse, ils portaient
épée et trois carquois, dont deux de flèches à feu. Certains avaient aussi une
hache, mais la plupart préféraient la vouge, comme Hook. Tous, seigneurs,
chevaliers, hommes d’armes ou archers arboraient la croix rouge de saint George
sur leurs jaques.
— Dieu soit avec vous, dit-il
aux archers, qui acquiescèrent d’un murmure.
— Et que le diable emporte les
Français ! ajouta sir John en sortant de sa tente. (La perspective de la
bataille le mettait de belle humeur.) Ce sera aisé, nous n’avons qu’à nous
emparer de cette barbacane. Que ce soit fait avant le déjeuner !
Hook descendit avec la compagnie de
sir John vers les installations de siège tout en mangeant la tranche de lard
fumé et le pain que lui avait donnés Mélisande. Il faisait encore nuit. Le vent
d’est vif et frais chargé de l’odeur salée des marais dissipait celle des
morts. Les flèches claquaient dans les étuis à chaque pas. Des feux luisaient
sur les lignes et les défenses d’Harfleur où la garnison réparait les dégâts
causés la veille.
— Dieu vous bénisse !
s’écria un prêtre sur leur passage. Qu’il soit avec vous et vous protège !
Les Français avaient dû se douter
qu’il se préparait quelque chose, car ils lancèrent par-dessus les remparts
deux balles de linge enduites de poix et de soufre enflammées qui tournoyèrent
dans le ciel nocturne et projetèrent des gerbes d’étincelles en touchant le
sol. Leurs reflets sur les casques des Anglais des tranchées permirent aux
arbalétriers français de lancer une volée de carreaux. Depuis les murailles
fusèrent des insultes sans entrain, comme si la garnison était lasse ou
hésitante.
La tranchée anglaise était remplie.
Les archers et leurs flèches à feu reçurent ordre de se placer en avant.
Derrière eux en attendaient d’autres, chargés de fagots. Sir John Holland, le
neveu du roi, commandait l’attaque, cette fois encore secondé par son
beau-père, sir John Cornewaille.
— Quand je donnerai l’ordre,
dit-il, les archers décocheront les flèches à feu sur la barbacane. Et qu’elle
flambe ! (De loin en loin dans la tranchée, étaient placés des braseros
remplis de charbons dégageant une âcre fumée.) Noyez-les sous le feu !
s’écria-t-il. Enfumez-les comme rats ! Et quand ils seront aveugles, nous
comblerons le fossé et prendrons la barbacane d’assaut !
À l’entendre, tout serait facile.
Les dernières pièces d’artillerie anglaises avaient été chargées de boulets
enduits de poix. Les artilleurs hollandais attendaient, mèche à la main. L’aube
se faisait attendre. Les défenseurs se lassèrent de lancer carreaux et
insultes. Les deux parties attendaient. Un jeune coq chanta dans le camp, et
bientôt d’autres se joignirent à lui. Les pages chargés des gerbes de flèches
attendaient derrière les
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