Azteca
criminelle
et j’étais déjà bien trop impliqué dans cette affaire pour songer à faire
machine arrière. J’allai trouver l’esclave qui s’appelait, avec la pathétique
suffisance coutumière aux noms d’esclaves. Niez-Hueyotl, ce qui veut
dire :. « Je connaîtrai la grandeur. » Apparemment, il ne vécut
pas assez longtemps pour y parvenir, car Poupée de Jade me fit bien vite
appeler.
« Tu avais raison, Rapporte ! C’est parfois une erreur de
choisir un esclave. Celui-là commençait à se prendre pour un véritable être
humain. » Elle se mit à rire : « Bientôt, il sera un dieu. C’est
un sort auquel il n’aurait jamais pu prétendre. Mais j’ai pensé à autre chose.
Mon époux pourrait finir par se demander pourquoi je n’ai chez moi que des
statues de dieux. Il me faudrait au moins une déesse. Dans tes dessins, j’ai
aperçu une femme qui avait un air avenant. Apporte-moi son portrait. »
Je m’exécutai, la mort dans l’âme. Je regrettai d’avoir laissé la jeune
reine voir ce croquis que j’avais fait sans raison précise, sur une impulsion
et par admiration envers une jeune femme qui avait frappé ma vue. Du reste,
elle attirait de nombreux regards masculins qui s’allumaient alors de
convoitise. Mais Nemalhuili était une femme mariée, l’épouse d’un riche
plumassier, sur le marché des artisans de Texcoco. Sa beauté ne venait pas
seulement de son clair visage lumineux, mais aussi de ses gestes souples, de
son port de tête altier et de ses lèvres souriantes. Elle était rayonnante de
bonheur et son nom lui allait bien : Chose Délicate.
Poupée de Jade examina son portrait et déclara, à mon grand
soulagement : « Ce n’est pas toi qui iras la chercher. Ce serait un
manquement aux convenances et risquerait de provoquer un émoi indésirable. Je
vais envoyer une esclave. »
Mais cela ne mit malheureusement pas un terme à mes ennuis, car peu
après, la jeune reine me déclara : « Cette femme viendra ce soir.
C’est la première fois – le croirais-tu ? – que je m’offre une personne de
mon propre sexe ; aussi je veux que tu viennes avec tout ton matériel et
que tu fasses des dessins de ce qui va se passer, pour qu’ensuite je puisse
voir ce que nous avons fait. »
J’étais complètement catastrophé, et pour trois raisons. D’abord et
surtout, j’étais en colère après moi pour avoir, sans le vouloir, impliquer
Chose Délicate dans cette affaire. Je ne la connaissais que de vue et de
réputation, mais j’avais beaucoup de respect pour elle. Ensuite, d’un point de
vue égoïste, jamais après une pareille nuit, je ne pourrais prétendre que je ne
savais pas ce qui se passait dans les appartements de ma maîtresse. Enfin,
j’éprouvais du dégoût à l’idée d’assister à une chose qui aurait dû se dérouler
en privé. Mais il m’était impossible de refuser et je dois reconnaître que je
n’étais pas exempt d’une curiosité malsaine. J’avais entendu parler de
patlachuia, mais je n’arrivais pas à m’imaginer comment deux femmes pouvaient
prendre du plaisir ensemble.
Chose Délicate arriva, légère et souriante, comme à l’accoutumée, bien
qu’un peu éberluée par ce rendez-vous de minuit clandestin. C’était l’été et il
ne faisait pas froid du tout, pourtant elle portait une cape sur les épaules.
Peut-être lui avait-on recommandé de dissimuler son visage sous son manteau
pour venir au palais.
« Madame », dit-elle gracieusement et avec un regard
interrogateur qui allait de la jeune reine à moi, assis dans un coin avec une
pile de feuilles de papier sur les genoux. Je n’avais aucun moyen de cacher ma
présence, puisque ma myopie m’obligeait à rester tout près pour pouvoir faire
les croquis demandés.
« Ne fais pas attention au scribe, c’est moi seule qui compte.
D’abord, assure-moi que ton mari ignore tout de ta visite.
— Il ne sait rien, Madame. Il dormait quand je suis partie. Votre
servante m’a recommandé de ne rien lui dire et j’ai pensé que vous aviez besoin
de moi pour… pour quelque chose qui ne regarde pas les hommes.
— C’est tout à fait ça », minauda l’hôtesse avec
satisfaction. Puis, comme les yeux de la jeune femme se portaient à nouveau sur
moi : « Je t’ai dit de l’ignorer, c’est un meuble. Il ne voit rien et
il n’entend rien. Il n’existe pas », coupa-t-elle. Puis sa voix devint
caressante. « Il paraît que tu es une des plus
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