Azteca
place de la longue déclaration
préliminaire qui accompagne la moindre remarque adressée au Uey tlatoani :
« En votre auguste présence, Mixpantzinco , Seigneur Orateur Vénéré,
Nezahualpilli…», je traçais simplement un petit rond figurant une bouche
ouverte. Si quelqu’un évoquait tour à tour des événements actuels et des
événements passés, je montrais la différence entre les deux en dessinant des
symboles simples représentant, l’un, un bébé et l’autre, un vautour. Le bébé
voulait dire « nouveau » et s’appliquait aux événements actuels et le
vautour à la tête dégarnie signifiait « vieux » et servait à
identifier les événements passés.
Tous ces souvenirs présentent sans doute un intérêt professionnel, pour
les scribes que vous êtes, mes révérends, mais en réalité, je les ai évoqués
uniquement parce que je redoute de parler d’autre chose – comme par exemple, de
la convocation suivante que je reçus de Poupée de Jade.
« Il me faut une nouvelle tête », me dit-elle, mais nous
savions bien, tous deux, ce qu’elle entendait par « tête ». « Je
n’ai pas-envie d’attendre que tu fasses une nouvelle série de dessins.
Montre-moi ceux que tu as déjà faits. » Je les lui apportai et elle jeta
un rapide coup d’œil à chacun. Puis, elle s’arrêta sur l’un d’eux en me
disant : « Et celui-ci, qui est-ce ?
— Un esclave du palais, lui répondis-je. Je crois que c’est un
porteur de litière.
— Rapporte ! m’ordonna-t-elle, en me tendant sa bague
d’émeraude.
— Madame, protestai-je. Un esclave ?
— Quand j’ai un besoin urgent, je ne fais pas la difficile, de
plus, les esclaves sont souvent très à la hauteur. Ces misérables n’osent pas
refuser de se soumettre aux ordres les plus infamants. » Elle fit son
sourire le plus enjôleur. « Et plus un homme est souple, mieux il se plie
à toutes les contorsions. »
Avant que j’aie pu soulever la moindre objection, elle me mena vers une
niche dans le mur et me dit, « Regarde ça, c’est le second dieu que j’ai
commandé à ce soi-disant maire sculpteur, Pixquitl.
— Ce n’est pas un dieu, remarquai-je, ahuri à la vue de la
nouvelle statue. C’est Xali-Otli, le jardinier. »
Alors, elle répliqua sur un ton froid et menaçant, « Pour toi et
pour tout le monde à Texcoco, ce sera un dieu obscur, adoré par ma famille, à
Tenochtitlân. Toi, tu as reconnu son visage, mais je parie que personne, ici,
n’en serait capable, sauf, peut-être, sa propre mère. Ce vieux Pixquitl est un
bon à rien. J’ai envoyé chercher ces artistes Mexica dont je t’ai parlé. Ils
seront là aussitôt après la fête de Ochpaniztli. Va dire à Pixquitl qu’il leur
aménage un atelier particulier et qu’il leur donne tout le matériel dont ils
auront besoin. Ensuite, trouve-moi l’esclave. Donne-lui l’anneau et les
instructions habituelles. »
Quand j’allai de nouveau trouver le sculpteur, il me déclara en
grommelant : « Je ne peux que répéter que j’ai fait de mon mieux avec
le dessin qu’elle m’a confié. Mais, cette fois, elle m’a donné également un
crâne pour m’aider.
— Quoi ?
— Oui, c’est bien plus facile d’obtenir une bonne ressemblance
quand on dispose d’une ossature sur laquelle mouler la terre.
— Mais… mais… Maître Pixquitl, personne n’a jamais possédé le
crâne d’un dieu », balbutiai-je, me refusant de croire à ce que j’aurais
dû comprendre depuis longtemps. Il me jeta un regard de ses yeux aux paupières
tombantes : « Tout ce que je sais, c’est qu’on m’a donné le crâne
d’un homme mort récemment et que sa structure se rapproche des caractéristiques
faciales du dessin qu’on m’a dit être l’image d’un dieu mineur. Je ne suis pas
un prêtre, pour me permettre de contester l’authenticité d’un dieu et je ne
suis pas assez fou pour poser des questions à une reine aussi impérieuse. J’ai
fait ce qu’on m’a dit de faire et, jusqu’à présent, j’ai réussi à mettre mon
propre crâne à l’abri. Vous comprenez ? »
Je hochai la tête, abasourdi. Je ne comprenais que trop bien.
Le maître poursuivit alors : « Je vais préparer l’atelier
pour les nouveaux artistes, mais je dois dire que je n’envie aucun de ceux qui
sont employés par Dame Poupée de Jade. Ni moi, ni eux, ni vous. »
J’étais bien de son avis. J’étais devenu le pourvoyeur d’une
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