Azteca
fille :
« Je comprends bien. Tu voudrais qu’il subisse son initiation le
plus tôt possible. Je m’en chargerai volontiers. » Elle m’évalua du regard
et son amusement sembla faire place à un autre sentiment.
« Malgré son âge, poursuivit-elle, Mixtli paraît être un individu
tout à fait intéressant, surtout si l’on songe à ses origines. Je vais te
donner un petit conseil que tu n’entendras jamais de la bouche de nos hommes.
Tu as bien raison d’admirer la rapidité d’un homme, mais c’est sa jambe du
milieu, si je peux m’exprimer ainsi, qui est le meilleur signe de sa virilité.
Ce membre risque de dépérir quand son propriétaire prodigue toutes ses forces à
développer ses autres muscles. Ne sois donc pas trop prompte à mépriser un
coureur médiocre avant d’avoir examiné ses autres attributs.
— Naturellement, répliqua la jeune fille impatientée. C’est bien
ce que je voulais dire.
— Tu pourras le faire après la cérémonie. Maintenant, tu peux t’en
aller, ma fille.
— M’en aller ? protesta-t-elle. Il n’y a rien de secret dans
l’initiation d’un ma-tuâne. En général, tout le village y assiste.
— Je ne veux pas interrompre le tes-gùinapuri. Et puis, ce Mixtli est
étranger à nos coutumes et il pourrait être intimidé par une horde de
spectateurs.
— Je ne suis pas une horde ! C’est moi qui l’ai amené pour la
purification.
— Je te le rendrai après. Tu pourras alors juger s’il vaut le
dérangement. Maintenant, il faut que tu partes. »
La fille s’en alla, non sans nous avoir jeté un regard furibond et le
si-riame me dit : « Asseyez-vous Mixtli, pendant que je prépare une
décoction pour vous éclaircir l’esprit. On ne doit pas être ivre pour mâcher le
jipuri. »
Je m’assis sur le sol tapissé d’aiguilles de pin. Elle mit la tisane à
chauffer dans un coin de l’âtre, puis s’approcha de moi avec une petite cruche.
« C’est le jus de la plante sacrée, l’ura. » Elle m’en versa
une tasse, puis avec une petite plume elle me peignit des spirales et des
points d’un jaune très vif sur les joues et le front.
« Voilà », déclara-t-elle. Je sentais que le breuvage
chassait miraculeusement mon ivresse.
« Je ne sais pas ce que veut dire Mixtli, mais puisque vous êtes
un ma-tuâne qui cherche la lumière divine pour la première fois, vous devez
choisir un nouveau nom. »
Je faillis me mettre à rire. J’avais depuis longtemps perdu le compte
de mes nombreuses dénominations, mais je me contentai de lui expliquer :
« Mixtli signifie cette chose accrochée dans le ciel que vous
nommez Kurû.
— C’est un très beau nom, mais il faudrait lui ajouter un
qualificatif. Disons, Su-kurû. »
Cette fois, je n’avais plus envie de rire. Su-kurû veut dire Nuage Noir
et elle ne pouvait pas savoir que c’était mon nom. Je me souvins alors que les
si-riame sont aussi des sorciers et je supposai que la lumière divine leur
faisait voir des choses cachées pour les autres.
« Maintenant, Su-kurû, vous devez confesser tous les péchés de
votre existence.
— Madame le si-riame, lui répliquai-je, je n’aurais pas assez de
toute ma vie pour les énoncer.
— Vraiment ? Il y en a tant ? » Elle me considéra
pensivement, puis elle ajouta : « Bon. Etant donné que la lumière
divine habite uniquement chez nous, les Tarahumara, nous ne prendrons en
considération que les péchés que vous avez commis ici.
— Je n’en ai commis aucun, à ma connaissance.
— Il ne s’agit pas que des actions. L’intention suffit. Par
exemple, ressentir de la colère, de la haine ou avoir envie de se venger ;
concevoir une pensée indigne. Vous n’avez pu assouvir votre concupiscence sur
cette fille, mais vous l’avez poursuivie dans un but bien déterminé.
— C’était moins de la concupiscence que de la curiosité,
Madame. »
Elle semblait interdite, aussi je lui parlai du ymaxtli, ces poils que
je n’avais jamais vus et du désir que cela avait éveillé en moi. Elle éclata de
rire.
« C’est bien d’un sauvage d’être étonné par une chose qui semble
évidente aux gens civilisés. Je parie qu’il n’y a pas longtemps que vous
autres, les barbares, n’êtes plus intrigués par le feu. »
Quand elle eut fini de rire et de se moquer de moi, elle s’essuya les
yeux et me dit plus gentiment :
« Su-kurû, il faut que vous sachiez que les Tarahumara sont supérieurs
aux
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