Azteca
dont je
vous dévoilerai tout à l’heure les propriétés. C’est pourquoi, ayant très peu à
faire et beaucoup de loisirs, ces gens avaient de bonnes raisons de passer le
tiers de leur année à s’enivrer ou à se droguer avec du jipuri en remerciant
les dieux de leur bonté.
En chemin, Tes-disora m’avait appris quelques bribes de sa langue, ce
qui rendit notre communication plus facile et nous épargna de nombreux gestes.
Lorsque nous eûmes apporté notre gibier à quelques vieilles matrones qui
surveillaient les grands feux allumés au bord de la rivière, il me proposa d’aller
au bain de vapeur pour nous décrasser, puis m’offrit avec beaucoup de
délicatesse de me donner des vêtements propres si je voulais jeter les miens au
feu, ce que je fus trop heureux d’accepter.
Après nous être déshabillés tous les deux pour entrer dans l’étuve,
j’eus un court instant de surprise en voyant que Tes-disora avait des petites
touffes de poils sous les bras et une autre entre les jambes et je lui fis une
remarque sur cette chose curieuse. Il haussa les épaules et me dit :
« Tarahumara » en se désignant, puis pointant un doigt sur moi :
« Chichimeca ». Cela voulait dire qu’il n’était pas une
exception ; tous les Tarahumara avaient des poils abondants autour des
parties génitales et sous les bras, alors que les Chichimeca n’en avaient pas.
« Je ne suis pas un Chichimeca », lui répétai-je, mais sans
grande conviction. Puis, une question me traversa l’esprit :
« Vos femmes ont-elles aussi ces petites touffes ?
— Bien sûr », me répondit-il en riant et il m’expliqua que
l’apparition de ce duvet était l’un des signes qui indiquent qu’un enfant est
en passe de devenir adulte. Je me demandais quelle impression cela faisait de
s’unir à une femme dont le tipili n’était pas nettement visible, ou à peine
voilé par un fin duvet, mais au contraire, dissimulé par une épaisse chevelure
sombre.
« Vous pourrez le vérifier facilement, me dit Tes-disora comme
s’il avait deviné mes pensées. Pendant les jeux du tes-gùinapuri, vous n’aurez
qu’à poursuivre une femme et à la renverser pour vous en rendre compte. »
Quand j’étais arrivé dans les villages, les habitants m’avaient lancé
des coups d’œil dédaigneux, ce qui était bien compréhensible. Mais une fois
propre, peigné, vêtu d’un pagne et d’un manteau de daim à manches, on ne me
regarda plus avec mépris. A part quelques petits ricanements lorsque je
commettais une erreur flagrante en parlant leur langue, les Tarahumara se
montrèrent courtois et amicaux envers moi. Ma haute taille, sinon le reste de
ma personne, me valut des regards intéressés ou même admiratifs des jeunes
filles et des femmes seules. Il me sembla que plusieurs d’entre elles se
laisseraient volontiers poursuivre par moi.
De toute façon, les Tarahumara étaient toujours en train de courir –
hommes et femmes, jeunes et vieux. Tous ceux qui avaient dépassé l’âge
chancelant des premiers pas et qui n’étaient pas encore entrés dans celui de la
décrépitude couraient. A tout moment de la journée, sauf quand ils étaient
occupés à quelque tâche immobile, imbibés de tesgûino ou abrutis par le jipuri,
ils couraient. A plusieurs ou tout seuls, sur les bords de la rivière ou
escaladant les parois abruptes du canon. Les hommes couraient en poussant du
pied une balle de bois sculpté, soigneusement arrondie et grosse comme une tête
d’homme. Les femmes, elles, couraient après un petit cerceau de paille
tressée ; elles avaient chacune une petite baguette et c’était à celle
qui, la première, l’atteindrait et le ferait avancer plus loin. Cette agitation
frénétique et perpétuelle me semblait dépourvue d’utilité, mais voici ce que m’expliqua
Tes-disora :
« Elle est en partie due aux esprits supérieurs et à notre énergie
vitale, mais c’est encore bien autre chose ; c’est une cérémonie
permanente à travers laquelle, par l’exercice et la sueur, nous rendons hommage
à nos dieux Ta-tevari, Ka-laumari et Ma-tinieri. »
J’avais du mal à imaginer que les dieux pouvaient se nourrir de
transpiration plutôt que de sang. Les Tarahumara adoraient les trois dieux que
Tes-disora venait de citer : Grand-Père Feu, Mère Eau et Frère Cerf. Ils
en avaient peut-être d’autres, mais je n’ai jamais entendu parler que de ces
trois-là. Etant donné les besoins réduits de
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