Azteca
se trouvait l’ancienne place du marché.
Il faisait nuit noire quand la procession arriva sur cette place.
Certaines torches s’arrêtèrent et se mirent en cercle, tandis que d’autres se
déplaçaient çà et là. Assuré que personne ne s’aventurerait à l’intérieur de la
ville avant le lendemain matin, je contournai la plateforme pour me mettre face
à l’est et assister au lever de la lune. Elle était pleine, parfaitement ronde
et aussi belle que la pierre de Coyaulxauhqui à Aztlán. Ensuite, je me
retournai à nouveau pour contempler Teotihuacân à sa lueur. La brise avait
chassé la brume et chaque détail des édifices se détachait nettement dans le
clair de lune bleuté.
J’avais connu jusque-là une existence mouvementée avec quelques rares
moments de tranquillité et j’espérais qu’il en serait de même jusqu’à la fin.
Pourtant, je savourais cet instant de sérénité et j’étais si ému que je
composai alors le seul poème de ma vie. Il ne parlait pas de faits historiques,
il était inspiré par la beauté et le silence de ce lieu inondé par la clarté
lunaire. Lorsque j’eus fait le poème dans ma tête, je me dressai au sommet de
la pyramide du Soleil pour le déclamer à la face de la cité déserte :
Jadis, quand rien n’existait que la nuit,
Ils s’assemblèrent, en des temps oubliés
Les dieux les plus puissants
Pour décréter l’aube et la lumière.
Ici…
A Teotihuacán.
« Félicitations », fit une voix derrière moi. Je fus si
surpris que je faillis dégringoler de la pyramide. La voix répéta le poème, mot
pour mot et je la reconnus. Par la suite, j’ai eu l’occasion d’entendre mon
œuvrette récitée par d’autres personnes, mais jamais plus par le Seigneur
Motecuzoma Xocoyotl Cem-Anahuac Uey tlatoani, Orateur Vénéré du Monde Unique.
« Félicitations, répéta-t-il. D’autant que les Chevaliers-Aigle ne
sont pas spécialement réputés pour leur esprit poétique.
— Ni parfois pour leur esprit chevaleresque, dis-je, sachant que
lui aussi m’avait reconnu.
— Ne crains rien, Chevalier Mixtli. Tes subordonnés ont pris sur
eux tout le blâme de l’échec de Yanquitlan et ils ont été dûment exécutés. Plus
aucun doute ne subsiste. Avant d’aller au-devant de la guirlande fleurie, ils
m’ont parlé de l’exploration que tu projetais. Quel en a été le résultat ?
— Guère meilleur qu’à Yanquitlan, Seigneur, fis-je, réprimant un
soupir en pensant aux amis qui étaient morts à ma place. Je n’ai réussi qu’à
prouver que les prétendues réserves des Azteca n’ont jamais existé. »
Après lui avoir fait le résumé de mon voyage, je conclus par ces mots
que j’avais entendu prononcer partout en plusieurs langues différentes.
Motecuzoma hocha pensivement la tête et les répéta, le regard perdu dans la
nuit, comme s’il pouvait voir toute l’étendue de ses possessions et ses paroles
résonnèrent alors comme une sinistre épitaphe :
« Les Azteca sont passés ici, mais ils n’avaient rien amené avec
eux et ils n’ont rien laissé en partant. »
« Je n’ai eu aucune nouvelle de Tenochtitlán et de la Triple Alliance
depuis plus de deux ans, dis-je après un silence embarrassé. Quelle est la
situation en ce moment, Seigneur Orateur ?
— Aussi sombre qu’à Aztlán. Nos guerres ne nous ont rien rapporté.
Nos possessions ne se sont pas agrandies d’une main et pendant ce temps les
présages se sont multipliés qui prévoient une catastrophe terrible et
mystérieuse. »
Il me fit alors un court récit des derniers événements. Il n’avait
cessé de harceler nos indépendants voisins texcalteca pour qu’ils se
soumettent, mais sans succès. Ils étaient toujours aussi indépendants et plus
hostiles que jamais envers Tenochtitlán. La seule action récente que Motecuzoma
aurait pu considérer comme une victoire n’était en fait qu’une mesure de
représailles. Les habitants de la ville de Tlaxiaco, dans le pays mixteca,
avaient intercepté et gardé pour eux un tribut destiné à Tenochtitlán, envoyé
par des villes du sud. Motecuzoma avait pris personnellement la tête de son
armée et avait plongé Tlaxiaco dans un bain de sang.
« Et pourtant, poursuivit Motecuzoma, tout cela est moins
inquiétant que certains phénomènes naturels. Un matin, il y a environ un an et
demi, le lac de Texcoco tout entier s’est soudain agité comme une mer en furie.
Pendant un jour et une
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