Azteca
incendiés. Sur la plage, pour signaler l’endroit
où ils avaient débarqué pour la première fois, les Blancs avaient planté une
grande croix taillée dans la charpente d’un navire détruit, un mât très haut où
flottait un immense drapeau sang et or – les couleurs de l’Espagne – et enfin,
une hampe plus petite où était accrochée une bannière plus modeste, l’enseigne
personnelle de Cortés, bleu et blanc avec une croix rouge au milieu.
A cet endroit que les Espagnols avaient baptisé Villa Rica de la Vera
Cruz, avait surgi un véritable village. Outre des maisons de toile soutenues
par des piquets, il y avait aussi des huttes de jonc au toit de palme que les
Totonaca soumis avaient construites pour leurs visiteurs. Cependant, ce
jour-là, le camp était pratiquement désert car la plupart de ses occupants
étaient partis travailler plus au nord, sur un site où Cortés avait décidé de
construire une ville définitive, avec des maisons de bois, de pierres et
d’adobe.
Naturellement, notre arrivée avait été signalée par des sentinelles
espagnoles et une petite délégation nous attendait. La caravane s’arrêta à
distance respectueuse et, comme je le leur avais recommandé, les quatre nobles
firent allumer des encensoirs de copali qu’ils se mirent à balancer en tous
sens, créant des volutes de fumée tout autour d’eux. Les Blancs en déduisirent,
et ils le crurent longtemps, que c’était notre façon d’accueillir les visiteurs
de marque. En réalité, cette manœuvre avait pour unique but d’élever un voile
défensif entre nous et l’odeur insupportable de ces étrangers qui ne se
lavaient jamais.
Deux d’entre eux s’avancèrent à la rencontre de nos envoyés. Ils
paraissaient, tous deux, avoir environ trente-cinq ans. Ils portaient des
manteaux et des chapeaux de velours, des pourpoints à manches longues, des
culottes bouffantes en mérinos et des bottes de cuir qui leur montaient
jusqu’aux cuisses. L’un d’eux était plus grand que moi ; il était musclé,
bien bâti et avait fort belle allure, avec une abondante chevelure dorée et une
barbe qui flamboyait dans le soleil. Ses yeux bleus étincelaient et malgré son
teint pâle, il avait un visage très énergique. Les Totonaca lui avaient déjà
donné le nom de Tezcatlipoca, leur dieu du soleil, à cause de cet aspect
lumineux. Tout le monde, parmi nous, pensa d’abord qu’il était le chef, mais
nous apprîmes rapidement qu’il n’était que le commandant en second et qu’il
s’appelait Pedro de Alvarado.
L’autre Espagnol était beaucoup plus petit et bien moins engageant. Il
avait des jambes arquées et la poitrine étroite comme une proue de canoë. Sa
peau était encore plus blanche que celle de son compagnon, mais avec des
cheveux et une barbe noirs. Son regard était froid, lointain et incolore comme
un sombre jour d’hiver. Ce personnage qui ne payait pas de mine déclara
pompeusement qu’il était le capitaine Don Hernán de Cortés de Medellin en
Estramadure et plus récemment de Santiago de Cuba et qu’il représentait Sa
Majesté Don Carlos, Empereur du Saint Empire romain et roi d’Espagne.
A cette époque, je n’avais pas compris grand-chose de ce titre à
rallonge, bien qu’il nous fût répété en xiu et en nahuatl par les deux
interprètes qui se tenaient à quelques pas derrière Cortés et Alvarado. Le
premier était un Blanc marqué par la petite vérole et l’autre une jeune femme
de chez nous vêtue d’un corsage et d’une jupe d’un jaune virginal, mais dont
les cheveux roux foncé flamboyaient presque autant que ceux d’Alvarado. De
toutes les indigènes offertes aux étrangers par le tabascoób de Cupilco, puis
par Patzinco, elle était la plus admirée par les soldats espagnols parce que
ses cheveux roux « étaient pareils, disaient-ils, à ceux des putains de
Santiago de Cuba ».
Mais je savais reconnaître des cheveux artificiellement décolorés par
une décoction de graines d’achiyotl, de même que j’avais aussitôt reconnu cet
homme et cette fille. Lui, c’était Jeronimo de Aguilar qui avait été l’hôte des
Xiu huit ans auparavant. Avant d’aborder sur les côtes olmeca, Cortés s’était
arrêté à Tihô où il l’avait récupéré. Guerrero, son compagnon, après avoir
contaminé tout le pays maya, était mort lui aussi de la petite vérole. Quant à
la fille aux cheveux roux, bien qu’elle eût alors vingt-trois ans, elle
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