Azteca
était
toujours petite, toujours jolie et toujours la même Ce-Malinali que j’avais
rencontrée à Coatzacoalcos quand je m’étais rendu à Tihô.
Quand Cortés parlait, Aguilar traduisait ses propos dans le mauvais xiu
qu’il avait appris pendant sa captivité et ensuite, Ce-Malinali les répétait en
nahuatl.
Je ne fus pas long à m’apercevoir que les dialogues étaient très
imparfaitement rendus, mais je me gardais bien de dire quoi que ce soit et les
deux interprètes ne remarquèrent pas ma présence parmi les porteurs.
Pendant que les nobles déposaient les cadeaux envoyés par Motecuzoma,
je vis une lueur de cupidité briller dans les yeux inexpressifs de Cortés. L’un
après l’autre, les porteurs déballèrent leur charge : les deux grands
gongs d’or et d’argent, les vêtements de plume, les pierres et les bijoux.
« Allez chercher le joaillier flamand », dit Cortés à
Alvarado. Un autre Blanc se présenta alors qui, de toute évidence, était là
uniquement pour estimer les trésors que pouvait receler ce pays. Je ne sais pas
ce qu’est un Flamand, mais celui-ci parlait espagnol et bien que ses paroles ne
fussent pas traduites, j’en compris le sens général.
Il déclara que les objets en or et en argent étaient d’un grand prix,
de même que les topazes, les perles et les turquoises et, davantage encore, les
émeraudes – encore qu’il regrettât qu’elles soient taillées en forme de fleur
ou d’animal plutôt qu’avec des facettes. Il pensait que les manteaux et les
coiffures de plumes pouvaient avoir une certaine valeur en tant que curiosités
et pièces de musée. Par contre, il écarta dédaigneusement les jades bien que
Ce-Malinali ait tenté de lui expliquer que leur aspect religieux en faisait des
cadeaux très estimables.
Le joaillier ne tint pas compte de sa remarque et dit à Cortés :
« Ce n’est pas du jade de Cathay, ni même du faux jade d’une
qualité passable. Ce ne sont que des cailloux de serpentine verte, Capitaine,
qui n’ont guère plus de valeur que nos billes de verre. »
Je ne savais pas alors ce qu’était le verre et j’ignore toujours ce
qu’est Cathay. Par contre, je savais parfaitement que ces jades n’avaient
qu’une valeur rituelle. Maintenant ils ne sont plus que des jouets pour les
enfants, mais en ce temps-là, ils signifiaient quelque chose pour nous et
j’étais furieux de voir de quelle façon les Blancs recevaient nos présents, en
donnant un prix à tout, comme si nous avions été des marchands essayant de leur
refiler une marchandise douteuse.
Ce qui me désolait encore davantage, c’était de constater que les
Espagnols n’appréciaient aucunement ces cadeaux en tant qu’œuvre d’art, mais
uniquement d’après le poids du métal. Ils ôtèrent les pierres de leur monture
d’or ou d’argent et les mirent dans des sacs. Ensuite, ils écrasèrent le métal
finement ouvragé dans de grandes coupes de pierre et allumèrent un feu dessous
pour le faire fondre. Par conséquent, de tous les trésors que nous avions
apportés, il ne subsista que des lingots d’or et d’argent aussi disgracieux que
des briques d’adobe.
Laissant mes pairs jouer leur rôle de grands seigneurs, je passai les
jours suivants à me promener çà et là parmi les simples soldats. Je les
comptai, eux, leurs armes, leurs chevaux, leurs chiens et toutes les choses
auxquelles je ne pouvais encore attribuer aucune utilité, comme ces tas de
lourdes boules de métal et ces chaises basses en cuir curieusement incurvées.
Je prenais grand soin de ne pas attirer l’attention et comme les Totonaca que
les Espagnols avaient mis au travail forcé, je me déplaçais toujours avec une
planche ou une jarre d’eau pour faire croire que j’étais employé à quelque
tâche. Cela ne m’empêchait pas de me servir de ma topaze et de prendre des
notes sur tout ce que je voyais. Parfois, j’aurais préféré porter un encensoir
au lieu d’une planche, mais je dois reconnaître que ces Espagnols sentaient
moins mauvais que ceux dont j’avais gardé le souvenir. Ils ne se lavaient
toujours pas, mais après leur rude journée de travail, ils se déshabillaient en
conservant malgré tout leurs immondes sous-vêtements et ils allaient faire
trempette dans la mer. Aucun d’eux ne savait nager, mais ils s’ébrouaient
suffisamment pour débarrasser leur corps de la sueur du jour. Je n’irai pas
jusqu’à dire qu’ils sentaient la fleur, d’autant
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