Azteca
qu’ils enfilaient aussitôt
après leurs habits raidis de crasse, mais grâce à ce rinçage, ils sentaient un
peu moins mauvais.
Je passais les nuits, soit au camp, soit dans la ville de Vera Cruz, en
ouvrant toujours bien grand mes yeux et mes oreilles. Je n’y appris aucune
nouvelle sensationnelle, car les conversations des soldats avaient pour thème
principal les mérites comparés des Indiennes et des femmes de leur pays, mais
j’améliorai ainsi ma compréhension de l’espagnol. Je faisais toujours très
attention à ne pas être entendu quand je me répétais leurs phrases et leurs
mots pour m’entraîner.
Toujours pour ne pas risquer d’être pris pour un imposteur, j’évitais
de parler avec les Totonaca et je ne pus demander à personne de m’expliquer une
chose qui m’intriguait considérablement.
Tout le long de cette côte et surtout à Zempoala, se dressent de
nombreuses pyramides dédiées à Tezcatlipoca ou à d’autres divinités. Elles ont
toutes un temple au sommet mais ces temples avaient incroyablement changé. Plus
un seul n’abritait la statue de Tezcatlipoca, d’Ehecatl ou d’un autre dieu. On
les avait grattés et débarrassés de l’accumulation de sang coagulé, puis on
avait blanchi l’intérieur par une couche de lait de chaux. Dans ces temples, il
y avait maintenant une croix de bois rudimentaire et une petite effigie
grossièrement sculptée, elle aussi en bois. Elle représentait une jeune femme,
la main levée dans un vague geste d’avertissement, les cheveux peints d’un noir
uniforme, la robe et les yeux d’un bleu sans nuances et la peau d’un blanc rosé
comme celle des Espagnols. Plus étrange encore, cette femme portait une
couronne dorée, bien trop large pour sa tête, qui était fixée sur sa nuque.
Je compris alors que bien que les Espagnols n’aient livré aucune
bataille aux Totonaca, ils avaient dû tant les menacer et les effrayer qu’ils
avaient remplacé leurs anciens dieux pleins de vigueur par cette femme pâle et
impassible. Je supposais qu’il s’agissait de cette déesse appelée Notre-Dame,
mais je ne voyais pas en quoi les Totonaca l’avaient jugée supérieure à leurs
divinités, ni pourquoi les Espagnols vénéraient cette déesse à l’aspect si
insipide.
Un jour, cependant, mes flâneries m’amenèrent dans une clairière herbeuse
remplie de Totonaca qui écoutaient avec un air d’attention stupide les
harangues d’un prêtre espagnol. Il faisait son prêche avec l’aide des deux
interprètes, Aguilar et Ce-Malinali, qu’il devait emprunter à Cortés toutes les
fois que celui-ci n’en avait pas besoin. Les Totonaca paraissaient très
intéressés par son sermon, mais je savais bien qu’ils ne pouvaient pas
comprendre deux mots sur dix dans la traduction nahuatl de Ce-Malinali.
Entre autres choses, le prêtre expliquait que Notre-Dame n’était pas
véritablement une déesse. C’était une femme appelée la Vierge Marie qui était
restée vierge tout en s’unissant avec le Saint Esprit du Seigneur Dieu et qui
avait donné le jour au Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, mais également
descendu sur la terre sous une forme humaine. Tout cela n’était guère difficile
à comprendre. Dans notre religion aussi, les dieux s’unissaient souvent à des
mortelles et les déesses à des hommes et il en résultait une prolifération
d’enfants divins, sans que leur réputation de vierges en soit ternie le moins
du monde.
Comprenez-moi, Excellence. Je vous rapporte seulement mes impressions
d’un temps où je n’étais pas encore un esprit averti.
Le prêtre donna ensuite des éclaircissements sur le baptême que toute
l’assemblée pourrait recevoir ce jour même si elle le désirait. Il ne rentra
évidemment pas dans les détails de la foi chrétienne et, même moi, qui dans
toute l’assistance étais certainement celui qui comprenait le mieux ce qu’il
disait, j’interprétai faussement beaucoup de ses propos. Par exemple, comme le
prêtre semblait parler familièrement de cette Vierge Marie dont j’avais déjà vu
des statues, je crus que Notre-Dame était une Espagnole qui traverserait peut
être un jour les mers pour venir nous rendre visite avec son enfant Jésus.
Ensuite, le prêtre et ses interprètes enjoignirent à ceux qui voulaient
embrasser la foi chrétienne de s’agenouiller et la quasi-totalité des Totonaca
s’exécuta, bien que ces êtres simples n’eussent certainement pas la moindre
idée
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