Azteca
de ce qui allait se passer ; il était même fort possible que certains
aient pensé qu’on allait procéder à un massacre rituel.
La mer n’était pas bien loin, mais le prêtre n’y entraîna pas les
participants. Il parcourut les rangs des Totonaca agenouillés en les aspergeant
d’eau, d’une main et en leur faisant goûter quelque chose de l’autre. Lorsque
je vis qu’aucun des nouveaux baptisés ne tombait raide mort, je me décidai à
faire moi-même l’expérience. Je ne risquais rien et, en revanche, je pourrais
peut-être en tirer un avantage quelconque dans mes relations futures avec les
Blancs. Je m’avançai donc pour recevoir quelques gouttes d’eau sur la tête et
quelques grains de sel sur la langue – car ce n’était rien d’autre que du sel
ordinaire – accompagnés de marmonnements dans une langue que je sais maintenant
être du latin.
Pour terminer, le prêtre se mit à psalmodier une courte allocution en
latin dans laquelle il disait que désormais tous les hommes s’appelleraient
Juan Damasceno – c’était le saint du jour – et les femmes Juana Damascena.
Voici donc quelle est ma dernière dénomination et je pense que c’est
celle qui me restera puisque c’est sous ce nom que je figure sur les registres
officiels de la Nouvelle-Espagne. L’ultime inscription sera sans aucun
doute : Juan Damasceno, décédé.
Au cours de l’un de mes conciliabules nocturnes et secrets avec les
gentilshommes mexica, dans la maison de toile qu’on avait dressée pour eux, ils
me dirent : « Motecuzoma s’est longtemps demandé si ces Blancs
étaient des dieux ou des Tolteca, aussi nous avons voulu faire une expérience
et nous avons offert à Cortés de lui sacrifier un xochimiqui. Il a été
profondément scandalisé et il nous a déclaré : « Vous savez très bien
que le bienfaisant Quetzalcoatl lui-même n’a jamais demandé, ni même permis
qu’on lui sacrifie des êtres humains. Alors, pourquoi moi ?
« Maintenant, nous ne savons plus que penser. Comment cet étranger peut-il
en savoir si long sur le Serpent à plumes, à moins que…
— Cette Ce-Malinali lui a sans doute parlé de la légende de
Quetzalcoatl, rétorquai-je. Après tout, elle est née sur la côte d’où il s’est
embarqué.
— Je vous en supplie, Mixtli, ne lui donnez pas ce nom, me dit
l’un des nobles. Elle tient beaucoup à ce qu’on l’appelle Malintzin.
— Eh bien, elle en a fait du chemin depuis le jour où je l’ai
rencontrée sur un marché d’esclaves, ricanai-je.
— Mais pas du tout, objecta-t-il. En réalité, elle était noble
avant de tomber en servitude. C’est la fille d’un seigneur et d’une dame de
Coatlicamac. Quand son père mourut, sa mère se remaria et son nouvel époux la
vendit traîtreusement comme esclave.
— Vraiment ? répliquai-je ironiquement. Son imagination a,
elle aussi, fait de grands progrès. Il est vrai qu’elle m’avait avoué alors
qu’elle ferait n’importe quoi pour réaliser ses ambitions. Je vous conseille à
tous de faire très attention à ce que vous pourrez dire en présence de cette
Dame Malinali. »
Le jour suivant, Cortés avait organisé pour les nobles une
démonstration de ses armes prodigieuses et des prouesses militaires de ses
hommes. J’y assistai également, perdu au milieu de la foule des porteurs et des
Totonaca. Ces gens simples en furent frappés de stupeur. Par contre, les
envoyés mexica restèrent imperturbables, comme s’ils n’étaient pas du tout
impressionnés, mais, à plusieurs reprises, des grondements soudains les firent
sursauter.
Cortés avait fait bâtir par ses hommes une petite maison de bois, si
loin sur la plage qu’on la distinguait à peine de l’endroit où nous nous
trouvions. Devant nous, il avait fait installer l’un de ces lourds tubes de
métal jaune monté sur de grandes roues…
Non, j’emploierai maintenant les termes exacts. Ce tube était un canon
de cuivre dont la gueule était pointée vers la maison de bois. Une douzaine de
soldats firent aligner des chevaux sur le sable dur entre le canon et le bord
de l’eau. Les chevaux avaient sur le dos cet équipement qui m’avait tant
intrigué : les chaises de cuir étaient en fait des selles de cavalier.
Derrière les chevaux, venaient d’autres soldats avec de grands chiens de chasse
qui essayaient de se soustraire à la laisse qui les retenait.
Tous ces guerriers avaient revêtu leur tenue de combat. Ils
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