Azteca
dans le ciel et qui retombaient très loin
à l’horizon en se balançant comme sous l’effet d’une légère brise. Mais, il n’y
avait pas un souffle d’air et les longs rideaux de lumière ne faisaient aucun
bruit. Ils brillaient d’un éclat froid, blanc, vert pâle et bleu pâle. C’était
un spectacle magnifique, mais qui faisait dresser les cheveux sur la tête.
Des années après, j’en ai parlé par hasard à un matelot espagnol en lui
disant que les Mexica l’avaient interprété comme un sinistre avertissement. Il
s’était mis à rire, en me traitant de sauvage superstitieux.
« Nous aussi, nous l’avons vu et nous avons été surpris que ce
phénomène se produise si loin au sud. Mais il n’a aucune signification et je
l’ai observé à plusieurs reprises sur les océans froids du nord. C’est une
chose courante sur les mers glacées par Boréas, le vent du nord et c’est pour
cela qu’on l’appelle l’aurore boréale. »
Mais, à l’époque, je savais seulement que ces merveilleuses et
terrifiantes lumières apparaissaient dans le ciel du Monde Unique pour la
première fois depuis soixante-six ans et je dis à Motecuzoma :
« Mon père disait que c’était l’annonce du retour des Temps
Difficiles.
— Ah oui, ces années de famine. Mais je crains que les Temps
Difficiles de jadis ne soient rien comparés à ce que l’avenir nous
réserve. » Il se tut pendant un long moment, puis, soudain, il me
dit : « Chevalier Mixtli, tu vas entreprendre un nouveau voyage.
— Seigneur, je suis vieux, protestai-je du plus poliment que je
pus.
— Tu auras des porteurs et une escorte et la route est bonne
jusqu’à la côte totonaca. »
Je protestai alors plus énergiquement : « La première
entrevue entre Mexica et Espagnols ne peut être confiée qu’à des nobles du
Conseil, Seigneur.
— Ils sont tous, pour la plupart, encore plus vieux que toi. En
outre, aucun d’eux n’est aussi compétent pour rédiger des rapports et n’a ta
connaissance de leur langue. Qui plus est, Mixtli, tu possèdes un don pour
dessiner les gens et nous n’avons pas eu un seul bon portrait de ces étrangers
depuis qu’ils ont accosté en pays maya.
— Dans ce cas, je peux vous dessiner de mémoire les deux Espagnols
que j’ai vus à Tihô et en faire un portrait assez ressemblant.
— Non. Tu m’as dit toi-même qu’ils n’étaient que de simples
artisans. Je veux voir le portrait de leur chef, cet homme qui s’appelle
Cortés.
— Mon Seigneur a donc fini par conclure que c’était un homme,
hasardai-je.
— Je sais, tu n’as jamais cru que c’étaient des dieux, pourtant,
il y a eu tant de présages et de coïncidences. Mais, ce n’est pas ton affaire,
ajouta-t-il brusquement. Je te demande uniquement de me rapporter un portrait
de Cortés et une description de ses troupes, de leurs armes mystérieuses, de la
manière dont ils se battent et de tout ce qui pourra nous aider à les connaître
mieux.
— Ce Cortés n’est certainement pas un imbécile et il ne laissera
jamais un scribe venir espionner dans son camp pour compter ses guerriers et
ses armes, répliquai-je en essayant une dernière fois de me dérober.
— Tu ne seras pas seul. Plusieurs nobles t’accompagneront et vous
vous adresserez à Cortés comme à un personnage du même rang. Il en sera flatté.
Vous lui apporterez aussi de très riches présents et tout cela endormira ses
soupçons. Vous serez les émissaires de l’Orateur Vénéré des Mexica et du Monde
Unique, venus accueillir les envoyés de ce roi Charles d’Espagne. » Il se
tut un instant, puis ajouta en me regardant fixement : « Il faudra
que vous soyez tous des nobles mexica à part entière. »
En rentrant chez moi, je trouvai Béu en train de préparer du chocolat
pour mon retour. Je la saluai avec plus de chaleur qu’à l’accoutumée.
« Quelle nuit, Dame Béu ! »
Elle avait dû prendre cette appellation pour un mot tendre et parut à
la fois surprise et ravie.
« Oh, Zaa, fit-elle, en rougissant de plaisir. Si tu avais dit seulement
« femme », cela m’aurait réjoui le cœur, mais-… pourquoi cette
affection soudaine ?
— Non, non, coupai-je, pour l’empêcher de se laisser aller à trop
de sentimentalité. Je t’ai parlé comme il convient. Dame sera désormais ton
titre. Cette nuit, l’Orateur Vénéré a ajouté un « tzin » à mon nom et
par conséquent, au tien.
— Ah, dit-elle en
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