Azteca
place ce
jour-là pour le culte et les réjouissances.
— Mais oui ! s’écria le Femme-Serpent, et pendant ce temps,
nous irons alerter tous les guerriers jusqu’au moindre yaoquizque. Quand les
étrangers verront la foule brandir pacifiquement les armes dans ce qu’ils
croiront être simplement une danse rituelle, avec de la musique, des chants et
des danses, ils regarderont le spectacle avec un intérêt amusé, comme
d’habitude, mais au signal…
— Attendez, dit Cuauhtemoc. Mon cousin Motecuzoma ne dira rien
parce qu’il aura deviné ce que nous voulons faire. Mais vous oubliez cette
maudite Malintzin. Cortés l’a laissée ici – pour qu’elle serve d’interprète à
Tonatiuh et elle s’est fait un devoir de se mettre au courant de nos coutumes.
Quand elle verra la place noire de monde, elle comprendra que ce n’est pas
normal et elle alertera ses maîtres blancs.
— Je m’en occupe, dis-je.
— C’était l’occasion que j’attendais.
— Je regrette d’être trop vieux pour aller me battre sur-la place,
mais je peux éliminer un de nos plus dangereux ennemis. Mettez votre plan en
œuvre, Seigneur Régent, Malintzin ne verra pas la cérémonie, elle ne
soupçonnera rien, elle sera morte. »
Voici ce que voulait faire Cuitlahuac : la nuit de la fête
d’Uixtocihuatl devait être précédée d’une journée entière de danses et de
combats simulés exécutés au Cœur du Monde Unique par les femmes et les enfants
de la ville. Ce n’est qu’au crépuscule que les hommes viendraient par groupes
de deux ou trois, pour prendre leur place. Il ferait nuit noire et la place
serait éclairée par les flambeaux. La plupart des étrangers se seraient sans
doute lassés du spectacle et seraient rentrés dans le palais et, de toute façon
à la pâle lueur des torches, ils ne se rendraient pas compte de la
substitution. Tout en chantant et en gesticulant, les danseurs formeraient peu
à peu des colonnes qui se dirigeraient en sinuant vers l’entrée du palais
d’Axayacatl.
La plus grande menace était la présence des canons sur le toit du
bâtiment. Ils pouvaient faire pleuvoir sur la plaza une terrible mitraille,
mais il n’était pas facile de les diriger carrément vers le bas. Aussi,
Cuitlahuac avait l’intention de masser ses hommes contre les murs du palais
avant que les Blancs ne réalisent qu’ils allaient être attaqués. Alors, à son
signal, les Mexica forceraient l’entrée de l’édifice et se répandraient dans
toutes les pièces où la multitude de leurs épées d’obsidienne l’emporterait sur
les épées de fer, plus solides mais moins nombreuses et les lourdes arquebuses
de leurs adversaires. Pendant ce temps, d’autres Mexica retireraient les ponts
de bois enjambant les passages pratiqués dans les trois digues et avec leurs
arcs et leurs flèches, ils repousseraient toute tentative des troupes restées
sur la terre ferme pour franchir ces passages d’une quelconque façon.
Moi aussi, j’avais soigneusement préparé mon plan. J’étais allé trouver
un médecin que je connaissais depuis longtemps et, sans sourciller, il m’avait
donné la potion que je lui demandais. J’étais bien connu de tous les serviteurs
du palais et comme ils étaient très mécontents de la situation, je n’eus aucun
mal à les persuader de suivre mes directives. Ensuite, j’avais dit à Béu que je
voulais qu’elle quitte la ville pour la fête d’Uixtocihuatl, sans lui en donner
la raison. Je craignais en effet que les combats ne gagnent toute la cité et
que les Blancs, apprenant le rôle que j’avais joué dans cette affaire, ne
viennent se venger sur moi et sur les miens.
Béu se doutant que quelque chose se tramait, accepta sans protester.
Dans l’après-midi, je la fis partir dans une chaise à porteurs avec les deux
Turquoise à ses côtés.
Je restai seul dans la maison. J’étais trop loin du Cœur du Monde
Unique pour entendre la musique ou les échos du simulacre guerrier, mais je
m’imaginais le déroulement des événements. Je n’étais pas spécialement fier de
mon rôle personnel, puisque je devais tuer quelqu’un en traître pour la
première fois de ma vie. J’allai prendre une cruche d’octli dans la cuisine en
espérant que ce breuvage endormirait les sursauts de ma conscience. Puis je
m’assis dans la pénombre grandissante à attendre ce qui allait se passer.
Soudain, j’entendis des bruits de pas dans la rue et de grands coups
frappés
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