Azteca
saura rien des combattants que nous avons
cachés et quand tous les Blancs seront dans Tenochtitlán, alors seulement, nous
attaquerons – en nous sacrifiant, si c’est nécessaire – pour débarrasser notre
île et toute la région des lacs de cette engeance.
***
Sans doute les dieux avaient-ils décidé de favoriser pour un temps le
tonalli de la cité car ce plan réussit avec néanmoins quelques complications
imprévues.
Lorsqu’on sut que Cortés et sa puissante armée approchaient de la
ville, tout le monde se comporta comme si rien ne s’était passé, même les
parents des innocentes victimes. Les ponts qui enjambaient les passages des
trois chaussées étaient en parfait état. Les pirogues et les péniches
sillonnaient les canaux en transportant d’innocentes cargaisons, et les
milliers de guerriers Tecpanecá et acolhua qui étaient entrés au nez et à la
barbe des alliés de Cortés restés sur la terre ferme restaient bien cachés.
J’en avais huit chez moi qui commençaient à s’ennuyer et qui étaient impatients
d’entrer en action. Les rues de Tenochtitlán étaient aussi grouillantes et le
marché de Tlatelolco aussi animé, coloré et bruyant qu’à l’accoutumée. Seul, le
Cœur du Monde Unique était pratiquement désert. Son sol de marbre, toujours
taché de sang, n’était foulé que par quelques prêtres qui y accomplissaient les
offices quotidiens.
Cortés était sur ses gardes. Il avait eu connaissance de la tuerie et
il ne voulait pas s’exposer à une embuscade. Après avoir contourné Texcoco à
distance respectueuse, il longea la rive sud du lac, mais il n’emprunta pas la
chaussée méridionale pour entrer dans la ville ; ses hommes auraient pu être
attaqués par des guerriers en canots, pendant qu’ils étaient à découvert sur la
plus longue des trois digues. Il continua à faire le tour du lac jusqu’à la
rive occidentale, en postant à intervalles réguliers des guerriers de Fleur
Noire et des canons pointés vers la ville. Ensuite, il alla jusqu’à Tlacopan
parce que cette chaussée est la plus courte des trois. Avec une centaine de
cavaliers, il la franchit au galop, comme s’il s’attendait à ce qu’elle
s’effondre sous lui et les fantassins se ruèrent à sa suite.
Une fois dans l’île, Cortés dut pousser un soupir de soulagement. La
population ne l’acclama pas, mais elle ne le conspua pas non plus. De plus, la
compagnie de mille cinq cents de ses compatriotes, sans parler de ses alliés
qui bivouaquaient sur la terre ferme, devait lui donner un sentiment de
puissance. Peut-être même, pensa-t-il que les Mexica s’étaient enfin résignés à
reconnaître sa supériorité car ses troupes traversèrent la ville en véritables
conquérants.
Le gros de son armée s’installa sur la grande place. Les Texcalteca
évacuèrent le palais d’Axayacatl, à l’exception des principaux chevaliers et
allèrent camper eux aussi sur la place. Motecuzoma et un groupe de courtisans
restés fidèles qui sortaient pour la première fois depuis la fameuse nuit,
vinrent à la rencontre de Cortés, mais celui-ci les ignora dédaigneusement et
pénétra dans le palais avec Alvarado et Narvaez.
J’imagine que leur premier souci fut de réclamer à boire et à manger et
j’aurais voulu voir la tête de Cortés quand les soldats d’Alvarado lui
apportèrent de vieux haricots racornis et de la bouillie d’atolli. J’aurais
aussi bien aimé entendre l’officier blond lui raconter comment il avait
héroïquement maté un soulèvement de femmes et d’enfants sans avoir éliminé plus
d’une poignée de guerriers mexica. Cortés était arrivé pendant l’après-midi et
il resta en conférence avec Narvaez et Alvarado jusqu’à la tombée de la nuit.
Personne ne sait ce qu’ils se sont dits mais je sais cependant que Cortés
envoya un détachement de soldats dans le palais de Motecuzoma et qu’avec des
lances, des poutres et des leviers, ils enfoncèrent les murs derrière lesquels
étaient les chambres des trésors. Comme des fourmis faisant la navette entre
leur fourmilière et un pot de miel, les soldats transportèrent tout le stock
d’or et de pierreries dans la salle à manger de Cortés. Il leur fallut presque
toute la nuit pour effectuer le déménagement car le butin était de taille et
les pièces pas toujours faciles à transporter.
Toute la nuit, la ville resta calme et personne ne prêta attention à
ces allées et venues. Cortés
Weitere Kostenlose Bücher