Azteca
ridiculisé l’état monacal ; qu’il avait
prononcé des mots qu’un bon Chrétien et un loyal sujet de la Couronne ne
sauraient prononcer, ni même entendre.
Comme tout ceci constituait de graves manquements à la Foi, l’accusé a
eu tout loisir d’abjurer ses crimes, bien que la Cour ne pût en accepter le
désaveu, puisque tous ces propos hérétiques avaient été consignés par écrit. De
toute façon, quand le notaire lui a relu l’un après l’autre les passages tirés
de son propre récit, par exemple, ce commentaire idolâtre dans lequel il avait
déclaré : « Un jour, ma chronique fera peut-être office de confession
à la bonne déesse Mangeuse d’Ordures », on lui a demandé : « Don
Juan Damasceno, sont-ce bien vos paroles ? » et il a aussitôt
acquiescé. Il n’a rien voulu dire pour essayer d’atténuer ses fautes et quand
le président du Tribunal l’a solennellement averti du terrible châtiment qu’il
devrait subir s’il était reconnu coupable, il a simplement répliqué :
« Cela veut donc dire que je n’irai pas au Paradis des
Chrétiens ? » Nous lui avons fait remarquer que ce serait en effet la
pire des punitions et qu’il n’irait certainement pas au Paradis. A ces mots, il
a eu un sourire qui a glacé d’effroi les âmes de tous les membres du Tribunal.
Ensuite, en tant qu’Inquisiteur Apostolique, nous avons été dans
l’obligation de lui faire savoir quels étaient ses droits : bien qu’une
abjuration de ses péchés ne puisse être prise en considération, il pouvait
encore se confesser, se repentir et par conséquent être considéré comme
pénitent, se réconcilier avec l’Eglise et se voir infliger une peine moins
lourde prévue par le droit canon et par la loi civile, c’est-à-dire, être
condamné à passer le restant de ses jours sur les galères de Votre Majesté.
Cependant, Juan Damasceno est resté inflexible sur ses positions. Il
s’est contenté de sourire légèrement et de murmurer quelque chose à propos de
son « tonalli », païen, ce qui est déjà en soi une hérésie notoire.
Sur ce, on l’a ramené dans sa cellule pendant que la Cour délibérait, et elle a
déclaré Juan Damasceno coupable d’hérésie opiniâtre.
Selon les règles du droit canon, la sentence a été annoncée
publiquement le dimanche suivant. On a fait sortir Juan Damasceno de sa prison
et on l’a conduit au milieu de la grand-place, où tous les habitants de la
ville avaient reçu l’ordre de se rassembler. Il y avait donc une foule
nombreuse qui comprenait des Espagnols, des Indiens, les auditeurs du Tribunal,
les fonctionnaires laïques de la Justicia Ordinaria et le responsable de
l’autodafé. Juan Damasceno est arrivé vêtu de la tunique des condamnés et la
tête coiffée de la couronne de paille de l’infamie. Il était accompagné par
Fray Gaspar de Gayana qui portait une grande croix.
Une estrade avait été spécialement dressée pour cette occasion sur la
place pour les membres de l’Inquisition et le secrétaire du Saint-Office a lu à
la foule le compte rendu officiel des crimes de l’accusé et le verdict rendu
par la Cour. Puis cette lecture a été traduite en langue nahuatl par notre
interprète Molina afin que tous les Indiens présents puissent la comprendre.
Ensuite, nous, Inquisiteur Apostolique, avons prononcé le sermo generalis de la
sentence et remis le condamné au bras séculier pour le châtiment débita
animadvertione, en lui adressant la recommandation d’indulgence
coutumière :
« Nous sommes dans l’obligation de déclarer que Juan Damasceno est
un hérétique opiniâtre. Nous sommes dans l’obligation de le remettre au bras
séculier de la Justicia Ordinaria de cette ville et nous la prions d’en user
humainement à son égard. »
Ensuite, nous nous sommes directement adressé à Juan Damasceno pour lui
demander, pour, la dernière fois, de renoncer à son erreur, de confesser et
d’abjurer son hérésie, ce qui lui vaudrait au moins d’être étranglé avant
d’être livré au bûcher. Mais il a persévéré dans son obstination. Il a souri et
il a dit : « Excellence, quand je n’étais encore qu’un enfant, je
m’étais juré que si j’étais choisi un jour par la Mort Fleurie, même sur un
autel étranger, je me conduirais avec dignité. »
Telles ont été ses dernières paroles et je dois dire à sa décharge
qu’il ne s’est pas débattu et qu’il n’a pas crié quand les
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