Azteca
qui regrettent
amèrement maintenant de vous avoir aidés à conquérir le Monde Unique. J’ai dit
que je ne pouvais prévoir l’avenir, mais en fait, je crois le deviner. J’ai vu
Martin, le fils de Malintzin et un nombre croissant d’enfants couleur de
chocolat léger. Ils représentent sans doute l’avenir. Les peuples du Monde
Unique ne disparaîtront pas ; ils se dilueront dans une uniformité et une
médiocrité insipides. Je voudrais bien me tromper, mais je ne le pense pas.
Peut-être se trouvera-t-il des populations si écartées et si insoumises qu’on les
laissera en paix. Elles se multiplieront et… aquin ixnéntla ? Ayyo ,
j’aurais presque envie de continuer à vivre pour voir ça ! Mes ancêtres
n’eurent pas honte de s’appeler les Mangeurs d’Herbe, car même quand elles sont
laides et indésirables, les herbes sont solides et parfois impossibles à
déraciner. Ce n’est qu’après sa floraison que la civilisation des Mangeurs
d’Herbe a été anéantie. Les fleurs sont belles et parfumées, mais elles ne
durent qu’un temps. Peut-être quelque part, dans le Monde Unique, existe, ou
existera, un autre peuple dont le tonalli sera de fleurir et peut-être les
Blancs ne pourront-ils pas le faucher. Il se pourrait même que j’y aie un
descendant. Je ne parle pas de ceux que j’ai pu semer dans les lointaines
terres du sud – les habitants y sont si dégénérés qu’ils ne se relèveront
jamais même avec un apport de sang mexica. Mais au nord, Aztlán existe encore.
J’ai fini par comprendre la signification de l’invitation du tecuhtli
Tlilectic-Mixtli : « Il faut que vous veniez à Aztlán. Une surprise
vous y attend », m’avait-il dit, mais ce n’est que bien plus tard que je
me suis souvenu que j’avais passé plusieurs nuits avec sa sœur. Je me suis
souvent demandé si c’était un garçon ou une fille. En tout cas, ce dont je suis
certain, c’est que si un jour une autre migration quitte Aztlán, il ou elle ne
restera pas peureusement à la traîne…
Mais voilà que je recommence à divaguer et que j’agace Votre
Excellence. Si vous me le permettez, Seigneur Evêque, je vais prendre congé. Je
vais aller retrouver Béu pour lui répéter que je l’aime, car je veux que ce
soit les dernières paroles qu’elle entende chaque soir avant de s’endormir et
avant qu’elle ne s’endorme pour la dernière fois. Ensuite, quand elle sera
assoupie, je sortirai dans la nuit pour marcher dans les rues désertes.
EXPLICIT
Chronique racontée par un vieil Indien de la tribu dite des Aztèques,
transcrite Verbatim ab origine par :
Fr. Gaspar de Gayana J.
Fr. Toribio Vega de Aranjuez
Fr. Jeronimo Munoz G.
Fr. Domingo Villegas e Ybarra
Alonso de Molina, interprète. En ce jour de la fête de Saint Jacques,
Apôtre, le 25 juillet 1531.
I H S
A.I.M.C.
A Son Auguste et Impériale Majesté Catholique, l’Empereur Charles
Quint, Notre Roi :
Très respectée Majesté : de la Ville de Mexico, capitale de la
Nouvelle-Espagne, en ce jour des Saints-Innocents de l’année mille cinq cent
trente et un de Notre Seigneur, nous vous envoyons nos salutations.
Sire, je vous prie d’excuser ce long silence depuis notre dernière
missive. Comme vous le confirmera le capitaine Sânchez Santovena, sa caravelle
est arrivée ici avec beaucoup de retard, à cause des vents contraires qui
soufflaient sur les Açores et un long calme plat dans la mer des Sargasses.
Pour ces raisons, nous venons seulement de recevoir la lettre de Votre
Magnanime Majesté ordonnant qu’on donne à notre chroniqueur aztèque « en
récompense des services rendus à la Couronne, pour lui et pour sa femme, une
maison confortable, un petit lopin de terre et une pension qui lui permettra de
vivre jusqu’à la fin de ses jours. »
Sire, nous avons le regret de vous dire que c’est impossible. L’Indien
est mort et, si sa femme invalide vit encore, nous ignorons où elle se trouve.
Attendu que nous avions déjà demandé à Votre Majesté ce qu’elle
comptait faire quand nous en aurions fini avec lui et attendu que la seule
réponse a été un long silence, nous serons peut-être excusé d’avoir supposé que
Votre Dévote Majesté partageait l’opinion que nous avons souvent exprimée
pendant notre campagne contre les sorcières de Navarre que « négliger
l’hérésie, c’est l’encourager ».
Après avoir attendu le temps qu’il fallait les ordres de Sa Majesté
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